Académie des Inscriptions et Belles-Lettres comptes rendus des séances de lannée 1998 Un égyptologue: Gaston Maspero par M. Jean Leclant, Secrétaire perpétuel de lAcadémie Paris, diffusion de Boccard, 11 rue de Médicis, 1998 egyptologues.net La présente année 1998 a été marquée par de très nombreuses manifestations célébrant deux siècles damitié et de collaboration scientifique et culturelle entre lÉgypte et la France: dans le sillage de lExpédition dÉgypte, sous le vocable quelque peu énigmatique d«Horizons partagés», se sont ainsi multipliés à travers France et Égypte expositions, colloques et conférences. Parmi les signes multiples de la passion de la France pour lÉgypte se distingue la vigueur de lécole égyptologique française; ici-même notre Compagnie a eu loccasion, à plusieurs reprises, de rendre hommage aux deux figures emblématiques de légyptologie que sont Jean-François Champollion, le génial déchiffreur de lénigme des hiéroglyphes, et Mariette-Pacha, le fondateur de larchéologie de terrain; sans doute convenait-il dy associer, cette année, la personnalité et luvre de Gaston Maspero. Ajoutons que 1998 est aussi lannée du centenaire de lInstitut français darchéologie orientale du Caire, créé par le décret du 17 mai 1898 et, dans quelques instants, nous aurons à rappeler le rôle que Gaston Maspero joua dans la naissance de cette institution. En cette circonstance, nous voudrions adresser au directeur et aux membres de notre Ifao cest le sigle qui désigne la célèbre école de la rue Mounira au Caire nos compliments pour le travail accompli et nos vux chaleureux pour la poursuite de leur uvre. Avec Gaston Maspero, nous sommes en présence dun immense savant, un maître dans les domaines conjugués de larchéologie, de la philologie et de lhistoire, le dernier sans doute qui put encore maîtriser lensemble de plus de trente siècles de la gloire des pharaons; en vous invitant à participer à une magnifique aventure intellectuelle, il conviendra aussi de vous quelques épisodes demeurés bien mal connus même des égyptologues les mieux au fait de lhistoire de leur discipline de ce qui a été un véritable roman, la vie dun homme particulièrement attachant, sensible, généreux, dont le destin fut soumis, plus que pour beaucoup dautres, aux aléas les plus divers de lexistence. Prodigieusement doué, Gaston Maspero, bien conscient certes de sa valeur nen tira jamais orgueil ni mépris; de ses papiers et de sa correspondance, de tous les témoignages que nous avons pu rassembler surgit limage dun savant dune séduction exemplaire, toujours soucieux daccomplir son devoir attentif aux problèmes de Sa famille et, bien entendu, dune éblouissante activité scientifique. Dans nos domaines, il est de bonne méthode de présenter de façon préliminaire les sources auxquelles il a été puisé. Ceci est particulièrement nécessaire dans le cas présent, car, à travers les discours officiels que na pas manqué de susciter une telle personnalité scientifique, une sorte de «vulgate», sest instituée quil importe assurément de rénover. Depuis longtemps, jai pu mesurer la richesse des véritables trésors que recèlent les archives de la bibliothèque de notre Institut de France; cest effectivement un ensemble unique de documents qui mattendaient à quelques pas de mon bureau, pour me permettre de rendre hommage à un illustre prédécesseur; tant dans le domaine de légyptologie que dans le poste de Secrétaire perpétuel. Franchissons sans plus tarder le seuil de notre bibliothèque et découvrons ensemble le fonds Maspero impressionnant: non moins de soixante-trois cotes différentes. Tout dabord cinquante énormes volumes in-folio groupant les lettres adressées à Maspero par plusieurs centaines de correspondants; sy ajoutent douze boîtes rassemblant des documents divers: pièces administratives, carnets de chantiers, fiches, notes, croquis, caltes, plans, relevés; cette énorme documentation en tout plusieurs milliers de pièces fut déposée en 1920 par la veuve de Gaston Maspero. Il faut y joindre un dossier exceptionnel: vingt-quatre lettres adressées par Maspero à Renan entre 1877 et 1891 , don en 1930 du R. P. Vincent Scheil, le célèbre assyriologue, membre lui aussi de notre Compagnie. Pourtant, mon tableau resterait incomplet si je ny ajoutais les nombreux documents que les descendants directs du célèbre égyptologue, Messieurs Gérald et François Maspero, ont eu la générosité de me confier; jen ai tiré un très grand bénéfice dont jaimerais témoigner en les assurant de ma profonde reconnaissance Au-delà de ce que relatent les notices nécrologiques ou de ce qui ressort des documents officiels, ces lettres et ces papiers de famille permettent dentrevoir le visage dun Gaston Maspero autre que le très grand administrateur ou le savant universellement consacré. Enfin, jai beaucoup appris en consultant les souvenirs de Blanche Maspero, née Seyrig, la belle-fille de Gaston Maspero, lépouse de son premier fils Georges; ce typescript dune centaine de pages est riche de détails demeurés souvent mal connus. Le registre des actes de létat-civil du 1er arrondissement du département de la Seine atteste la naissance le 24 juin 1846, à quatre heures du matin, de «Gaston Camille Charles, fils de père non dénommé et dAdela Maspero, rentière, âgée de vingt-deux ans, native de Milan (Italie), demeurant rue de la Ville Levêque». Reportons-nous à lépoque tumultueuse des carbonari et du Risorgimento. La tradition familiale a conservé le nom du père, un noble napolitain, Camillo Marsuzi de Aguirre, conspirateur en fuite. Quant à Adela Evelina Maspero, née en fait en 1822, elle était lune des filles de la très nombreuse famille dun imprimeur milanais; diverses versions de la saga familiale rapportent plus dun témoignage de son caractère fort difficile; en 1853, dans des conditions romanesques, elle épousa un jeune homme dune famille darmateurs brestois, qui venait déchapper à un naufrage, Eugène Bazil. Gaston Maspero considéra toujours comme ses surs et frère les enfants Bazil; plus tard, il devait faire venir en Égypte, près de lui, son demi-frère Hervé Bazil, qui deviendra directeur financier du service des Antiquités; ainsi son nom se trouve-t-il inscrit sur la façade du musée du Caire. Interne au lycée Louis-le-Grand, Gaston Maspero fut un élève particulièrement studieux et brillant; bien entendu, il obtint toujours, de 1858 à 1865, le premier prix en histoire, jusquau concours général oò il se distingua par plusieurs accessits et le deuxième prix de version grecque; comme le rapportent ses camarades détudes, il lisait du grec pour se distraire. Cest en découvrant dans le Manuel dhistoire ancienne de Duruy un texte en hiéroglyphes que le jeune Gaston succomba aux charmes de lÉgypte: il avait douze ans. Sa curiosité le conduisait alors souvent au musée du Louvre. Un jour de 1860, le libraire Vieweg, installé rue de Richelieu, remarqua à sa vitrine un garçonnet qui dévorait du regard un beau livre dégyptologie, puis se décida à entrer; il présenta une pièce de 5 francs pour tout paiement toute sa fortune! Louvrage valait beaucoup plus, mais, après avoir constaté les connaissances du son jeune client, il le lui vendit à ce prix en ajoutant: «Promettez-moi, quand vous serez un savant, de me donner vos livres à éditer». Maspero promit et tint parole: cest chez Vieweg quil fera publier en 1882 Le Sérapeum de Memphis, ouvrage posthume de Manette. Gaston Maspero entre à 19 ans, en 1865, à lÉcole normale supérieure. Sa rencontre avec Mariette date de 1867, lorsque ce dernier, qui avait la charge du pavillon égyptien de lExposition universelle, séjourna à Paris; à un dîner chez Ernest Desjardins, le maître en épigraphie latine, deux agrégatifs contèrent quun de leurs camarades était capable dexpliquer sans hésiter ce qui était gravé sur lobélisque, dit lun, sur les stèles du Louvre renchérit le second. Mariette resta sceptique, mais voulut bien éprouver le néophyte. Il lui fit donc remettre une copie du texte de la «Stèle dite du songe», quon venait de découvrir au Gebel Barkal, dans les ruines de Napata, lancienne capitale du royaume de Koush. Huit jours plus tard, il en recevait la traduction, essai qui sera publié en 1868 dans la Revue archéologique. Un événement imprévu devait pourtant briser le cours dune destinée qui semblait déjà toute tracée: laffaire Sainte-Beuve. Entré depuis peu au Sénat, lhomme de lettres avait prononcé le 25 juin 1867 un discours sur la liberté de penser, la bibliothèque municipale de Saint-Étienne ayant refusé dadmettre le Dictionnaire philosophique de Voltaire et les Confessions de Rousseau, ce qui fit grand bruit. Ayant reçu pour leur loterie de bienfaisance quelques ouvrages de Sainte-Beuve, les jeunes normaliens jugèrent bon de le remercier dans une lettre oò ils le félicitaient pour son attitude; en sa qualité de cacique de troisième armée, Maspero fut chargé de la lui remettre. Une feuille radicale publia la lettre qui lui avait été imprudemment communiquée scandale qui obligea le ministre de lInstruction publique Victor Duruy à sévir. Administrateur sévère, Pasteur renvoya les élèves de la rue dUlm. À la rentrée suivante on accepta, moyennant rétractation, de les réintégrer. Un seul refusa de signer l«acte de soumission»: Gaston Maspero. Ne plus préparer lagrégation, cétait renoncer à la carrière universitaire. Il vivota alors, donnant des leçons, corrigeant des épreuves dimprimerie. Recommandé auprès dun riche Américain du Sud, Vicente Fidel Lopez, ambassadeur dArgentine en Uruguay, qui cherchait à sadjoindre un philologue pour laider dans ses travaux sur le quichua, une des langues péruviennes dont il voulait démontrer les origines aryennes, notre réfractaire gagna Montevideo le 26 décembre 1867, après une traversée de trente-deux jours. Sil ne fut pas gagné par les hardiesses philologiques de son hôte, il pouvait sembler prêt à succomber aux attraits financiers du Nouveau-Monde: «M. Lopez, écrit-il, sest offert à me faire obtenir à lUniversité de cette ville (Montevideo) une chaire de grammaire comparée qui à ce qui paraît sera très utile, mais ajoute-t-il amusé, très utile à qui? Je nen sais rien, à moins que ce ne soit à moi qui serait payé 80 à 100 piastres par mois, soit 4 ou 500 francs (une belle somme à lépoque!)». il tient aussi à rassurer sa mère, inquiète dun possible mariage: «les jeunes filles ici ne savent rien faire que shabiller et jouer de léventail, quelles manuvrent dailleurs admirablement.» Dans un autre courrier oò il vante la richesse de lUruguay, il ajoute: «Nallez pas croire daprès ce que je dis là que je quitte le sanscrit et légyptien pour des moutons.» En effet, cest à Montevideo quil traduisit lHymne au Nil daprès des papyri conservés au British Museum. Rapidement, aux rêves de fortune, Gaston Maspero préféra la science. Fin juillet 1868, il était de retour à Paris, oò les circonstances, cette fois, allaient jouer en sa faveur. LÉcole pratique des hautes études venait dêtre fondée par Victor Duruy, et lenseignement de légyptologie y était confié à Emmanuel de Rougé, professeur au Collège de France et membre de lInstitut depuis 1853. Ce dernier fit attribuer à Maspero le poste de répétiteur: ce fut le coup denvoi de sa carrière. Les émoluments étaient bien maigres; mais le «tapirat» a toujours été une pratique normalienne. Lune des élèves de Maspero est particulièrement illustre: cest limpératrice Eugénie, à laquelle il donna en 1869, six semaines durant, une dizaine de leçons sur lhistoire et la civilisation égyptiennes, afin quelle puisse se rendre en Égypte «bien préparée» pour linauguration prochaine du canal de Suez. À cet épisode demeure attachée une belle anecdote oò se révèle la droiture de Maspero: avant de débuter son office, quil devait à lamitié de Fröhner, notre jeune savant jugea bon davertir lentourage impérial quil avait été renvoyé de lEns pour libéralisme; ce à quoi Napoléon III lui aurait fait répondre que cela navait pas dimportance puisque lui-même était libéral. Cest même une lettre émanant du Secrétariat des Commandements de lImpératrice adressée le 21 aoôt 1869 qui recommanda larrêt de toutes poursuites contre Gaston Maspero pour le remboursement de ses frais de pension à lENS. Parmi ses élèves se trouvaient aussi les enfants du banquier Berend; il fut ainsi invité à de nombreuses réceptions, lui ouvrant les portes du tout-Paris financier et artistique. Au salon de Mme Gaillard, Maspero fit la connaissance de Stéphane Mallarmé et dHenri Cazalis (le parnassien Jean Lahor) ainsi que de légérie des deux poètes: Henriette Yapp, dite Ettie, fille dÉdouard Yapp, correspondant français du Daily Telegraph; ravissante beauté, elle inspira un amour malheureux à Lahor, immortalisé dans un poème à une jeune fille «Sperata» dont voici deux vers évocateurs: «Le beau ciel profond de ton regard Sperata! et que la vie est sainte à lombre de tes tresses dor»; Ettie Yapp allait devenir bientôt lépouse de Gaston Maspero. Cest là également quil rencontra Paul dEstournelles, petit-neveu de Benjamin-Constant et frère de Louise, celle qui sera sa seconde femme. La guerre surprit Maspero alors quil travaillait en Angleterre à la traduction du papyrus Abbott. Il nhésita pas un seul instant et revint en France pour prendre part aux combats. Malgré les instances dEttie et des siens qui regrettaient quun savant déjà aussi renommé risquât sa vie, Maspero sengagea dans la garde mobile. «Si je suis quelquun, écrivait-il, cest en France que je le suis, et par la France. En droit, je ne dois rien à la France, puisque je suis étranger en fait je lui dois dautant plus que je suis étranger, quelle nétait tenue à rien, et quelle a tout fait pour moi.» Maspero prit part aux combats de Buzenval et de Montretout. Ayant risqué au feu le prix de sa vie, il demanda sa naturalisation et lobtint aussitôt: elle est datée du 12 janvier 1871. Puis ce furent les épreuves du siège de Paris et de la Commune. Les Yapp ayant quitté Paris en avril 1871, Maspero envoyait à Ettie lettres et coupures de presse pour nourrir ses chroniques, Les causeries de Paris, oò elle apprenait aux Londoniens les souffrances des Parisiens; cette correspondance est dun intérêt inestimable pour lhistoire de cette sombre période. Le 30 juillet 1871 Ettie Yapp regagna Paris. Voulant mettre à lépreuve son soupirant, elle mit en parallèle son amour et sa carrière; Maspero répondit en lut envoyant un projet de lettre de démission, lui laissant le soin de lexpédier à lÉcole pratique des hautes études; elle ne le fit pas, vous laurez deviné. «La lettre à M. le directeur, lui écrit-elle, je lai déchirée bien vite Je vois que vous avez mis un sens différent à celui que je mettais moi-même à mes paroles de femme paroles dune femme bien exigeante et bien enfant, qui voulait savoir tout le sacrifice que vous seriez prêt à lui faire, sans jamais vouloir laccepter. De plus, vos beaux travaux et votre science ne feront jamais, en quelques relations que nous puissions être lun avec lautre que me rapprocher de vous. Jai été contente et fière aussi de vos succès, et ce sera toujours mon grand plaisir de les voir saccroître; sans parler de nous, pour moi-même seulement; je serais malheureuse au possible de vous voir prendre dautres emplois que ceux que vous avez Je le répète, votre science serait ma belle et grande amie, jamais mon ennemie si ce nest que je me sens ignorante à côté de vous. Mais si ceci ne vous faisait rien, même cette chose deviendrait un plaisir de plus.» Une fois le consentement paternel obtenu, le manage eut lieu le 11 novembre 1871 à la chapelle de lambassade dAngleterre. De cette union naquirent bientôt, à bref intervalle, deux enfants, Georges et Isabelle: cest la branche protestante de la famille Maspero. Georges devait faire plus tard sa carrière en Indochine, épousant Blanche Seyrig; le nom de Seyrig, dune grande famille protestante de lEst, est certes familier pour notre Compagnie, puisque lhelléniste Henri Seyrig fut longtemps notre confrère; plusieurs des petits enfants et arrière-petits enfants de Georges Maspero et Blanche Seyrig sont cet après-midi parmi nous. Quant à Isabelle, connue sous le diminutif de Belia, elle devait se marier en Suisse à un pasteur, Armand Duckert. Ces nouveaux bonheurs ne freinèrent en rien létonnante activité scientifique de Gaston Maspero. Fin 1872, il soutint en Sorbonne ses thèses de doctorat. La principale sintitulait Du genre épistolaire chez les anciens Égyptiens; la thèse complémentaire quil songea même un temps à rédiger en grec, ce qui lui fut déconseillé , De Carckemis oppidi situ et historia antiquissima: Karkémish, au coude de lEuphrate, la célèbre cité hittito-syrienne. Après le décès dEmmanuel de Rougé en décembre 1872, cest tout naturellement Maspero qui fut proposé par 21 bulletins contre 5 blancs pour la succession à la chaire de philologie et antiquités égyptiennes du Collège de France. Il navait que 26 ans. Chargé de cours dabord, il fut titularisé professeur par décret du 4 février 1874; il le restera jusquà sa mort et enseignera ainsi quelque quarante-deux ans. Cette heureuse période, tant sur le plan personnel que dun point de vue scientifique, fut brutalement cassée. Le 20 septembre 1873, quelques jours après la naissance de Bella, Ettie succombait dune péritonite infectieuse: elle avait 27 ans. Gaston Maspero fut littéralement abattu par ce coup inattendu du sort; cet homme de raison se tourna alors vers le spiritisme et fréquenta le cabinet dune médium à la mode, la théosophe Mme Blavatsky, qui se vantait de provoquer lapparition des défunts. De cette tragédie, il demeure un témoignage littéraire saisissant, un sonnet des Hommages et tombeaux du fidèle Mallarmé, composé, je cite, «pour votre chère morte, son ami». Dans cette évocation poignante et teintée dun baudelairisme subtil, la belle disparue sadresse, avec une sérénité lointaine et une amoureuse compassion, au survivant qui, resté en vie, ne peut, à son désespoir, venir prendre place à ses côtés. En voici le premier quatrain: « Sur les bois oubliés quand passe lhiver sombre Tu te plains, ô captif solitaire du seuil, Que ce sépulcre à deux qui fera notre orgueil Hélas! du manque seul des lourds bouquets sencombre.» À ce vide terrible causé par un décès survenu, contre toute attente, à la fleur de lâge, répond ce manque de fleurs quil est impossible de trouver en hiver, quelquen soit le désir mise en abyme vertigineuse oò seul le manque peut aider à combler labsence. Maspero reçut maintes lettres de condoléances dont une demeure particulièrement émouvante: celle envoyée dÉgypte par Auguste Mariette, qui se rappelait avoir connu un chagrin identique, sans compter la perte de cinq de ses dix enfants: il engageait son jeune collègue à travailler pour oublier ce quil fit. Les cours de Gaston Maspero devaient lui valoir, on le sait, une grande notoriété; un public toujours plus nombreux sy bousculait. Ses leçons étaient dune extrême variété: elles touchaient à larchéologie, à lhistoire, à la grammaire, à lexplication de textes ainsi quà la religion. Il forma ainsi une génération dégyptologues, dont plusieurs devaient bientôt se retrouver avec lui en Égypte: Maxence de Rochemonteix sera administrateur dans la commission des Domaines de lÉtat égyptien de 1879 à 1885, puis entreprendra la copie des textes dEdfou; Eugène Lefébure, qui après de solides études était entré dans le service des postes, saffirma comme un poète parnassien très lié à Mallarmé; il sera chargé de conférences dégyptologie à Lyon, puis professeur à lÉcole supérieure des lettres dAlger; Eugène Grébaut, Urbain Bouriant, Victor Loret Cest alors que Gaston Maspero élabora sa traduction commentée des Contes populaires de lÉgypte ancienne, et quil rédigea son Histoire ancienne des peuples de lOrient publié pour la première fois en 1875 sous forme de petit manuel; augmenté et bien illustré, ce sera le livre de chevet pour plusieurs générations dorientalistes, dans lequel, encore aujourdhui, bien des trésors peuvent être puisés; plus tard on le publiera en trois magnifiques volumes in-4° sous le titre Histoire ancienne des peuples de lOrient classique. Mais nanticipons pas et arrêtons-nous au tournant 1880-1881, décisif dans la vie et dans luvre de Gaston Maspero. Cest à la fin doctobre 1880 que Gaston Maspero, alors âgé de 34 ans, épousa Louise Balluet dEstournelles de Constant de Rebecque; nous avons déjà rencontré son frère. Très liée à sa mère, Louise avait 22 ans. Lensemble des lettres que Gaston Maspero lui adressa et qui sont conservées constitue un extraordinaire trésor de tendresse et permet de revivre de semaine cri semaine, pourrions-nous dire lorsquils étaient séparés la carrière et le développement scientifique de Gaston Maspero. De cette union sont issus successivement Henri Maspero, né en 1883, et Jean Maspero on 1885. Madame Gaston Maspero vécut jusquen 1952 et jai eu ainsi le privilège, tout au début de mes études dégyptologie, de lui rendre deux fois visite rue Schaeffer: sur une grande table ronde, dominées par une grosse gerbe de roses rouges, des photographies retenaient aussitôt lattention: Gaston Maspero; ses deux fils: Henri Maspero, le sinologue renomme, professeur au Collège de France, arrêté par la Gestapo et mort à Buchenwald en 1945, et Jean Maspero, le byzantologue, heureux fouilleur du monastère copte de Baouit, tombé à Vauquois en Argonne le 17 février 1915; les deux fils aussi dHenri Maspero, dont laîné Jean avait été tué on 1944 dans les troupes libérant la France; le seul survivant de cette branche de la famille Maspero est lautre petit-fils. François, bien connu comme éditeur et publiciste. Dans ce cadre combien impressionnant, Madame Maspero aimait se tenir au courant de légyptologie, quelle avait côtoyée toute sa vie durant. Et pourtant il avait fallu les encouragements de sa mère pour quelle se décidât au début de 1881 à gagner lÉgypte, oò Gaston Maspero allait entamer une nouvelle phase de sa vie. Depuis lété 1880, la santé dAuguste Mariette, directeur du service des Antiquités de lÉgypte et du musée de Boulaq, donnait des signes inquiétants daffaiblissement. Maspero avait soumis dès 1874 sans succès, car Mariette sy était opposé un projet visant à créer une mission permanente au Caire, pour permettre notamment aux élèves formés à lÉcole pratique de se frotter à larchéologie de terrain; sachant lintérêt de Jules Ferry pour ce projet, Maspero le reprit, cette fois avec lappui du grand Renan et de linfluent publiciste Gabriel Charmes, frère de Xavier Charmes, directeur des missions au ministère de lInstruction publique Le chef de mission il avait alors 34 ans débarqua en Égypte au tout début janvier 1881. Il était accompagné de sa jeune épouse Louise, des apprentis égyptologues Urbain Bouriant et Victor Loret, dHippolyte Dulac, un arabisant, et du dessinateur-architecte Jules Bourgoin. Mon premier soin, lit-on dans une lettre de Maspero du 11 janvier 1881, a été daller voir Mariette. Il est mieux que je ne limaginais, mais dans un état à faire pitié. Il ne quitte plus le lit que pour rester quelques minutes affaissé sur une chaise longue: le corps na plus de ressort et ne tient plus que par sa dureté native. Il pourra durer, mais ne réagira pas et ne surmontera pas la maladie. Lesprit est aussi vif que par le passé, mais adouci. Nous avons été reçus sans gronderie et sans rudesse: depuis quelques jours, on nous attendait et on sinquiétait de ne pas nous voir venir.» Le 24 janvier, un autre courrier de Gaston Maspero souligne la rapidité des événements: «Mariette est mort le mardi 18 janvier à huit heures quarante minutes du soir et Riez-Pacha ma annoncé que le gouvernement égyptien mavait choisi pour son successeur.» En cette fin janvier 1881, les problèmes ne manquaient pas pour Gaston Maspero. Il sagissait dinstaller la mission, lui-même et son épouse. On se logea dabord chez la dame Zanifa, une sage-femme du palais, dans une maison turque vert pistache entre deux ruelles; Maspero poursuit dans sa lettre à Egger; «je suis au premier avec deux chambres dhôtes, lÉcole est au second avec un escalier indépendant. Nous possédons en commun un jardinet avec un puits deau et une terrasse doò on a le plus beau panorama quon puisse rêver.» Il fallait aussi rénover et agrandir le musée de Boulaq, entreprise dautant plus épuisante que les moyens financiers mis à sa disposition étaient minimes, mais Maspero était un homme aux multiples ressources, comme un passage dune lettre adressée à Renan le 20 décembre 1882 le laisse entrevoir: «Jai dô devenir entrepreneur de menuiserie pour éviter les frais. Je dessine les armoires et je les fais exécuter sous mes yeux, en utilisant tous les vieux bois de rejet que nous avions en magasin et dont jai réussi à tirer quelques meubles qui ne jurent point avec les meubles du Vieux-Musée.» Les enfants de Mariette étaient laissés sans ressources, quasiment à la rue. Maspero devait leur venir en aide; cest également lui qui plus tard, on 1901, obtiendra de la commission de la Dette publique le vote dun crédit nécessaire à lérection dune statue de Mariette au Caire. |
La Mission archéologique, qui allait devenir lécole dArchéologie du Caire |
academie des inscriptions et belles-lettres comptes rendus des seances de l'annee 1998 un egyptologue: gaston maspero par m. jean leclant, secretaire perpetuel de l'academie paris, diffusion de boccard, 11 rue de medicis, 1998 egyptologues.net la presente annee 1998 a ete marquee par de tres nombreuses manifestations celebrant deux siecles d'amitie et de collaboration scientifique et culturelle entre l'egypte et la france: dans le sillage de l'expedition d'egypte, sous le vocable quelque peu enigmatique d'"horizons partages", se sont ainsi multiplies a travers france et egypte expositions, colloques et conferences. parmi les signes multiples de la passion de la france pour l'egypte se distingue la vigueur de l'ecole egyptologique francaise; ici-meme notre compagnie a eu l'occasion, a plusieurs reprises, de rendre hommage aux deux figures emblematiques de l'egyptologie que sont jean-francois champollion, le genial dechiffreur de l'enigme des hieroglyphes, et mariette-pacha, le fondateur de l'archeologie de terrain; sans doute convenait-il d'y associer, cette annee, la personnalite et l'oeuvre de gaston maspero. ajoutons que 1998 est aussi l'annee du centenaire de l'institut francais d'archeologie orientale du caire, cree par le decret du 17 mai 1898 - et, dans quelques instants, nous aurons a rappeler le role que gaston maspero joua dans la naissance de cette institution. en cette circonstance, nous voudrions adresser au directeur et aux membres de notre ifao - c'est le sigle qui designe la celebre ecole de la rue mounira au caire - nos compliments pour le travail accompli et nos voeux chaleureux pour la poursuite de leur oeuvre. avec gaston maspero, nous sommes en presence d'un immense savant, un maitre dans les domaines conjugues de l'archeologie, de la philologie et de l'histoire, le dernier sans doute qui put encore maitriser l'ensemble de plus de trente siecles de la gloire des pharaons; en vous invitant a participer a une magnifique aventure intellectuelle, il conviendra aussi de vous quelques episodes demeures bien mal connus - meme des egyptologues les mieux au fait de l'histoire de leur discipline - de ce qui a ete un veritable roman, la vie d'un homme particulierement attachant, sensible, genereux, dont le destin fut soumis, plus que pour beaucoup d'autres, aux aleas les plus divers de l'existence. prodigieusement doue, gaston maspero, bien conscient certes de sa valeur n'en tira jamais orgueil ni mepris; de ses papiers et de sa correspondance, de tous les temoignages que nous avons pu rassembler surgit l'image d'un savant d'une seduction exemplaire, toujours soucieux d'accomplir son devoir attentif aux problemes de sa famille - et, bien entendu, d'une eblouissante activite scientifique. dans nos domaines, il est de bonne methode de presenter de facon preliminaire les sources auxquelles il a ete puise. ceci est particulierement necessaire dans le cas present, car, a travers les discours officiels que n'a pas manque de susciter une telle personnalite scientifique, une sorte de "vulgate", s'est instituee qu'il importe assurement de renover. depuis longtemps, j'ai pu mesurer la richesse des veritables tresors que recelent les archives de la bibliotheque de notre institut de france; c'est effectivement un ensemble unique de documents qui m'attendaient a quelques pas de mon bureau, pour me permettre de rendre hommage a un illustre predecesseur; tant dans le domaine de l'egyptologie que dans le poste de secretaire perpetuel. franchissons sans plus tarder le seuil de notre bibliotheque et decouvrons ensemble le fonds maspero - impressionnant: non moins de soixante-trois cotes differentes. tout d'abord cinquante enormes volumes in-folio groupant les lettres adressees a maspero par plusieurs centaines de correspondants; s'y ajoutent douze boites rassemblant des documents divers: pieces administratives, carnets de chantiers, fiches, notes, croquis, caltes, plans, releves; cette enorme documentation - en tout plusieurs milliers de pieces - fut deposee en 1920 par la veuve de gaston maspero. il faut y joindre un dossier exceptionnel: vingt-quatre lettres adressees par maspero a renan entre 1877 et 1891 -, don en 1930 du r. p. vincent scheil, le celebre assyriologue, membre lui aussi de notre compagnie. pourtant, mon tableau resterait incomplet si je n'y ajoutais les nombreux documents que les descendants directs du celebre egyptologue, messieurs gerald et francois maspero, ont eu la generosite de me confier; j'en ai tire un tres grand benefice dont j'aimerais temoigner en les assurant de ma profonde reconnaissance au-dela de ce que relatent les notices necrologiques ou de ce qui ressort des documents officiels, ces lettres et ces papiers de famille permettent d'entrevoir le visage d'un gaston maspero autre que le tres grand administrateur ou le savant universellement consacre. enfin, j'ai beaucoup appris en consultant les souvenirs de blanche maspero, nee seyrig, la belle-fille de gaston maspero, l'epouse de son premier fils georges; ce typescript d'une centaine de pages est riche de details demeures souvent mal connus. le registre des actes de l'etat-civil du 1er arrondissement du departement de la seine atteste la naissance le 24 juin 1846, a quatre heures du matin, de "gaston camille charles, fils de pere non denomme et d'adela maspero, rentiere, agee de vingt-deux ans, native de milan (italie), demeurant rue de la ville leveque". reportons-nous a l'epoque tumultueuse des carbonari et du risorgimento. la tradition familiale a conserve le nom du pere, un noble napolitain, camillo marsuzi de aguirre, conspirateur en fuite. quant a adela evelina maspero, nee en fait en 1822, elle etait l'une des filles de la tres nombreuse famille d'un imprimeur milanais; diverses versions de la saga familiale rapportent plus d'un temoignage de son caractere fort difficile; en 1853, dans des conditions romanesques, elle epousa un jeune homme d'une famille d'armateurs brestois, qui venait d'echapper a un naufrage, eugene bazil. gaston maspero considera toujours comme ses soeurs et frere les enfants bazil; plus tard, il devait faire venir en egypte, pres de lui, son demi-frere herve bazil, qui deviendra directeur financier du service des antiquites; ainsi son nom se trouve-t-il inscrit sur la facade du musee du caire. interne au lycee louis-le-grand, gaston maspero fut un eleve particulierement studieux et brillant; bien entendu, il obtint toujours, de 1858 a 1865, le premier prix en histoire, jusqu'au concours general ou il se distingua par plusieurs accessits et le deuxieme prix de version grecque; comme le rapportent ses camarades d'etudes, il lisait du grec pour se distraire. c'est en decouvrant dans le manuel d'histoire ancienne de duruy un texte en hieroglyphes que le jeune gaston succomba aux charmes de l'egypte: il avait douze ans. sa curiosite le conduisait alors souvent au musee du louvre. un jour de 1860, le libraire vieweg, installe rue de richelieu, remarqua a sa vitrine un garconnet qui devorait du regard un beau livre d'egyptologie, puis se decida a entrer; il presenta une piece de 5 francs pour tout paiement - toute sa fortune! l'ouvrage valait beaucoup plus, mais, apres avoir constate les connaissances du son jeune client, il le lui vendit a ce prix en ajoutant: "promettez-moi, quand vous serez un savant, de me donner vos livres a editer". maspero promit et tint parole: c'est chez vieweg qu'il fera publier en 1882 le serapeum de memphis, ouvrage posthume de manette. gaston maspero entre a 19 ans, en 1865, a l'ecole normale superieure. sa rencontre avec mariette date de 1867, lorsque ce dernier, qui avait la charge du pavillon egyptien de l'exposition universelle, sejourna a paris; a un diner chez ernest desjardins, le maitre en epigraphie latine, deux agregatifs conterent qu'un de leurs camarades etait capable d'expliquer sans hesiter ce qui etait grave sur l'obelisque, dit l'un, sur les steles du louvre rencherit le second. mariette resta sceptique, mais voulut bien eprouver le neophyte. il lui fit donc remettre une copie du texte de la "stele dite du songe", qu'on venait de decouvrir au gebel barkal, dans les ruines de napata, l'ancienne capitale du royaume de koush. huit jours plus tard, il en recevait la traduction, essai qui sera publie en 1868 dans la revue archeologique. un evenement imprevu devait pourtant briser le cours d'une destinee qui semblait deja toute tracee: l'affaire sainte-beuve. entre depuis peu au senat, l'homme de lettres avait prononce le 25 juin 1867 un discours sur la liberte de penser, la bibliotheque municipale de saint-etienne ayant refuse d'admettre le dictionnaire philosophique de voltaire et les confessions de rousseau, ce qui fit grand bruit. ayant recu pour leur loterie de bienfaisance quelques ouvrages de sainte-beuve, les jeunes normaliens jugerent bon de le remercier dans une lettre ou ils le felicitaient pour son attitude; en sa qualite de cacique de troisieme armee, maspero fut charge de la lui remettre. une feuille radicale publia la lettre qui lui avait ete imprudemment communiquee - scandale qui obligea le ministre de l'instruction publique victor duruy a sevir. administrateur severe, pasteur renvoya les eleves de la rue d'ulm. a la rentree suivante on accepta, moyennant retractation, de les reintegrer. un seul refusa de signer l'"acte de soumission": gaston maspero. ne plus preparer l'agregation, c'etait renoncer a la carriere universitaire. il vivota alors, donnant des lecons, corrigeant des epreuves d'imprimerie. recommande aupres d'un riche americain du sud, vicente fidel lopez, ambassadeur d'argentine en uruguay, qui cherchait a s'adjoindre un philologue pour l'aider dans ses travaux sur le quichua, une des langues peruviennes dont il voulait demontrer les origines aryennes, notre refractaire gagna montevideo le 26 decembre 1867, apres une traversee de trente-deux jours. s'il ne fut pas gagne par les hardiesses philologiques de son hote, il pouvait sembler pret a succomber aux attraits financiers du nouveau-monde: "m. lopez, ecrit-il, s'est offert a me faire obtenir a l'universite de cette ville (montevideo) une chaire de grammaire comparee qui a ce qui parait sera tres utile, mais ajoute-t-il amuse, tres utile a qui? je n'en sais rien, a moins que ce ne soit a moi qui serait paye 80 a 100 piastres par mois, soit 4 ou 500 francs (une belle somme a l'epoque!)". il tient aussi a rassurer sa mere, inquiete d'un possible mariage: "les jeunes filles ici ne savent rien faire que s'habiller et jouer de l'eventail, qu'elles manoeuvrent d'ailleurs admirablement." dans un autre courrier ou il vante la richesse de l'uruguay, il ajoute: "n'allez pas croire d'apres ce que je dis la que je quitte le sanscrit et l'egyptien pour des moutons." en effet, c'est a montevideo qu'il traduisit l'hymne au nil d'apres des papyri conserves au british museum. rapidement, aux reves de fortune, gaston maspero prefera la science. fin juillet 1868, il etait de retour a paris, ou les circonstances, cette fois, allaient jouer en sa faveur. l'ecole pratique des hautes etudes venait d'etre fondee par victor duruy, et l'enseignement de l'egyptologie y etait confie a emmanuel de rouge, professeur au college de france et membre de l'institut depuis 1853. ce dernier fit attribuer a maspero le poste de repetiteur: ce fut le coup d'envoi de sa carriere. les emoluments etaient bien maigres; mais le "tapirat" a toujours ete une pratique normalienne. l'une des eleves de maspero est particulierement illustre: c'est l'imperatrice eugenie, a laquelle il donna en 1869, six semaines durant, une dizaine de lecons sur l'histoire et la civilisation egyptiennes, afin qu'elle puisse se rendre en egypte "bien preparee" pour l'inauguration prochaine du canal de suez. a cet episode demeure attachee une belle anecdote ou se revele la droiture de maspero: avant de debuter son office, qu'il devait a l'amitie de frohner, notre jeune savant jugea bon d'avertir l'entourage imperial qu'il avait ete renvoye de l'ens pour liberalisme; ce a quoi napoleon iii lui aurait fait repondre que cela n'avait pas d'importance puisque lui-meme etait liberal. c'est meme une lettre emanant du secretariat des commandements de l'imperatrice adressee le 21 aout 1869 qui recommanda l'arret de toutes poursuites contre gaston maspero pour le remboursement de ses frais de pension a l'ens. parmi ses eleves se trouvaient aussi les enfants du banquier berend; il fut ainsi invite a de nombreuses receptions, lui ouvrant les portes du tout-paris financier et artistique. au salon de mme gaillard, maspero fit la connaissance de stephane mallarme et d'henri cazalis (le parnassien jean lahor) ainsi que de l'egerie des deux poetes: henriette yapp, dite ettie, fille d'edouard yapp, correspondant francais du daily telegraph; ravissante beaute, elle inspira un amour malheureux a lahor, immortalise dans un poeme a une jeune fille "sperata" - dont voici deux vers evocateurs: "le beau ciel profond de ton regard sperata! et que la vie est sainte a l'ombre de tes tresses d'or"; ettie yapp allait devenir bientot l'epouse de gaston maspero. c'est la egalement qu'il rencontra paul d'estournelles, petit-neveu de benjamin-constant et frere de louise, celle qui sera sa seconde femme. la guerre surprit maspero alors qu'il travaillait en angleterre a la traduction du papyrus abbott. il n'hesita pas un seul instant et revint en france pour prendre part aux combats. malgre les instances d'ettie et des siens qui regrettaient qu'un savant deja aussi renomme risquat sa vie, maspero s'engagea dans la garde mobile. "si je suis quelqu'un, ecrivait-il, c'est en france que je le suis, et par la france. en droit, je ne dois rien a la france, puisque je suis etranger - en fait je lui dois d'autant plus que je suis etranger, quelle n'etait tenue a rien, et qu'elle a tout fait pour moi." maspero prit part aux combats de buzenval et de montretout. ayant risque au feu le prix de sa vie, il demanda sa naturalisation - et l'obtint aussitot: elle est datee du 12 janvier 1871. puis ce furent les epreuves du siege de paris et de la commune. les yapp ayant quitte paris en avril 1871, maspero envoyait a ettie lettres et coupures de presse pour nourrir ses chroniques, les causeries de paris, ou elle apprenait aux londoniens les souffrances des parisiens; cette correspondance est d'un interet inestimable pour l'histoire de cette sombre periode. le 30 juillet 1871 ettie yapp regagna paris. voulant mettre a l'epreuve son soupirant, elle mit en parallele son amour et sa carriere; maspero repondit en lut envoyant un projet de lettre de demission, lui laissant le soin de l'expedier a l'ecole pratique des hautes etudes; elle ne le fit pas, vous l'aurez devine. "la lettre a m. le directeur, lui ecrit-elle, je l'ai dechiree bien vite je vois que vous avez mis un sens different a celui que je mettais moi-meme a mes paroles de femme - paroles d'une femme bien exigeante et bien enfant, qui voulait savoir tout le sacrifice que vous seriez pret a lui faire, sans jamais vouloir l'accepter. de plus, vos beaux travaux et votre science ne feront jamais, en quelques relations que nous puissions etre l'un avec l'autre - que me rapprocher de vous. j'ai ete contente - et fiere aussi - de vos succes, et ce sera toujours mon grand plaisir de les voir s'accroitre; sans parler de nous, pour moi-meme seulement; je serais malheureuse au possible de vous voir prendre d'autres emplois que ceux que vous avez je le repete, votre science serait ma belle et grande amie, jamais mon ennemie - si ce n'est que je me sens ignorante a cote de vous. mais si ceci ne vous faisait rien, meme cette chose deviendrait un plaisir de plus." une fois le consentement paternel obtenu, le manage eut lieu le 11 novembre 1871 a la chapelle de l'ambassade d'angleterre. de cette union naquirent bientot, a bref intervalle, deux enfants, georges et isabelle: c'est la branche protestante de la famille maspero. georges devait faire plus tard sa carriere en indochine, epousant blanche seyrig; le nom de seyrig, d'une grande famille protestante de l'est, est certes familier pour notre compagnie, puisque l'helleniste henri seyrig fut longtemps notre confrere; plusieurs des petits enfants et arriere-petits enfants de georges maspero et blanche seyrig sont cet apres-midi parmi nous. quant a isabelle, connue sous le diminutif de belia, elle devait se marier en suisse a un pasteur, armand duckert. ces nouveaux bonheurs ne freinerent en rien l'etonnante activite scientifique de gaston maspero. fin 1872, il soutint en sorbonne ses theses de doctorat. la principale s'intitulait du genre epistolaire chez les anciens egyptiens; la these complementaire - qu'il songea meme un temps a rediger en grec, ce qui lui fut deconseille -, de carckemis oppidi situ et historia antiquissima: karkemish, au coude de l'euphrate, la celebre cite hittito-syrienne. apres le deces d'emmanuel de rouge en decembre 1872, c'est tout naturellement maspero qui fut propose - par 21 bulletins contre 5 blancs - pour la succession a la chaire de philologie et antiquites egyptiennes du college de france. il n'avait que 26 ans. charge de cours d'abord, il fut titularise professeur par decret du 4 fevrier 1874; il le restera jusqu'a sa mort et enseignera ainsi quelque quarante-deux ans. cette heureuse periode, tant sur le plan personnel que d'un point de vue scientifique, fut brutalement cassee. le 20 septembre 1873, quelques jours apres la naissance de bella, ettie succombait d'une peritonite infectieuse: elle avait 27 ans. gaston maspero fut litteralement abattu par ce coup inattendu du sort; cet homme de raison se tourna alors vers le spiritisme et frequenta le cabinet d'une medium a la mode, la theosophe mme blavatsky, qui se vantait de provoquer l'apparition des defunts. de cette tragedie, il demeure un temoignage litteraire saisissant, un sonnet des hommages et tombeaux du fidele mallarme, compose, je cite, "pour votre chere morte, son ami". dans cette evocation poignante et teintee d'un baudelairisme subtil, la belle disparue s'adresse, avec une serenite lointaine et une amoureuse compassion, au survivant qui, reste en vie, ne peut, a son desespoir, venir prendre place a ses cotes. en voici le premier quatrain: "- sur les bois oublies quand passe l'hiver sombre tu te plains, o captif solitaire du seuil, que ce sepulcre a deux qui fera notre orgueil helas! du manque seul des lourds bouquets s'encombre." a ce vide terrible cause par un deces survenu, contre toute attente, a la fleur de l'age, repond ce manque de fleurs qu'il est impossible de trouver en hiver, quelqu'en soit le desir mise en abyme vertigineuse ou seul le manque peut aider a combler l'absence. maspero recut maintes lettres de condoleances dont une demeure particulierement emouvante: celle envoyee d'egypte par auguste mariette, qui se rappelait avoir connu un chagrin identique, sans compter la perte de cinq de ses dix enfants: il engageait son jeune collegue a travailler pour oublier - ce qu'il fit. les cours de gaston maspero devaient lui valoir, on le sait, une grande notoriete; un public toujours plus nombreux s'y bousculait. ses lecons etaient d'une extreme variete: elles touchaient a l'archeologie, a l'histoire, a la grammaire, a l'explication de textes ainsi qu'a la religion. il forma ainsi une generation d'egyptologues, dont plusieurs devaient bientot se retrouver avec lui en egypte: maxence de rochemonteix sera administrateur dans la commission des domaines de l'etat egyptien de 1879 a 1885, puis entreprendra la copie des textes d'edfou; eugene lefebure, qui apres de solides etudes etait entre dans le service des postes, s'affirma comme un poete parnassien tres lie a mallarme; il sera charge de conferences d'egyptologie a lyon, puis professeur a l'ecole superieure des lettres d'alger; eugene grebaut, urbain bouriant, victor loret c'est alors que gaston maspero elabora sa traduction commentee des contes populaires de l'egypte ancienne, et qu'il redigea son histoire ancienne des peuples de l'orient publie pour la premiere fois en 1875 sous forme de petit manuel; augmente et bien illustre, ce sera le livre de chevet pour plusieurs generations d'orientalistes, dans lequel, encore aujourd'hui, bien des tresors peuvent etre puises; plus tard on le publiera en trois magnifiques volumes in-4° sous le titre histoire ancienne des peuples de l'orient classique. mais n'anticipons pas et arretons-nous au tournant 1880-1881, decisif dans la vie et dans l'oeuvre de gaston maspero. c'est a la fin d'octobre 1880 que gaston maspero, alors age de 34 ans, epousa louise balluet d'estournelles de constant de rebecque; nous avons deja rencontre son frere. tres liee a sa mere, louise avait 22 ans. l'ensemble des lettres que gaston maspero lui adressa - et qui sont conservees - constitue un extraordinaire tresor de tendresse et permet de revivre - de semaine cri semaine, pourrions-nous dire lorsqu'ils etaient separes - la carriere et le developpement scientifique de gaston maspero. de cette union sont issus successivement henri maspero, ne en 1883, et jean maspero on 1885. madame gaston maspero vecut jusqu'en 1952 et j'ai eu ainsi le privilege, tout au debut de mes etudes d'egyptologie, de lui rendre deux fois visite rue schaeffer: sur une grande table ronde, dominees par une grosse gerbe de roses rouges, des photographies retenaient aussitot l'attention: gaston maspero; ses deux fils: henri maspero, le sinologue renomme, professeur au college de france, arrete par la gestapo et mort a buchenwald en 1945, et jean maspero, le byzantologue, heureux fouilleur du monastere copte de baouit, tombe a vauquois en argonne le 17 fevrier 1915; les deux fils aussi d'henri maspero, dont l'aine jean avait ete tue on 1944 dans les troupes liberant la france; le seul survivant de cette branche de la famille maspero est l'autre petit-fils. francois, bien connu comme editeur et publiciste. dans ce cadre combien impressionnant, madame maspero aimait se tenir au courant de l'egyptologie, qu'elle avait cotoyee toute sa vie durant. et pourtant il avait fallu les encouragements de sa mere pour qu'elle se decidat au debut de 1881 a gagner l'egypte, ou gaston maspero allait entamer une nouvelle phase de sa vie. depuis l'ete 1880, la sante d'auguste mariette, directeur du service des antiquites de l'egypte et du musee de boulaq, donnait des signes inquietants d'affaiblissement. maspero avait soumis des 1874 - sans succes, car mariette s'y etait oppose - un projet visant a creer une mission permanente au caire, pour permettre notamment aux eleves formes a l'ecole pratique de se frotter a l'archeologie de terrain; sachant l'interet de jules ferry pour ce projet, maspero le reprit, cette fois avec l'appui du grand renan et de l'influent publiciste gabriel charmes, frere de xavier charmes, directeur des missions au ministere de l'instruction publique le chef de mission - il avait alors 34 ans - debarqua en egypte au tout debut janvier 1881. il etait accompagne de sa jeune epouse louise, des apprentis egyptologues urbain bouriant et victor loret, d'hippolyte dulac, un arabisant, et du dessinateur-architecte jules bourgoin. mon premier soin, lit-on dans une lettre de maspero du 11 janvier 1881, a ete d'aller voir mariette. il est mieux que je ne l'imaginais, mais dans un etat a faire pitie. il ne quitte plus le lit que pour rester quelques minutes affaisse sur une chaise longue: le corps n'a plus de ressort et ne tient plus que par sa durete native. il pourra durer, mais ne reagira pas et ne surmontera pas la maladie. l'esprit est aussi vif que par le passe, mais adouci. nous avons ete recus sans gronderie et sans rudesse: depuis quelques jours, on nous attendait et on s'inquietait de ne pas nous voir venir." le 24 janvier, un autre courrier de gaston maspero souligne la rapidite des evenements: "mariette est mort le mardi 18 janvier a huit heures quarante minutes du soir et riez-pacha m'a annonce que le gouvernement egyptien m'avait choisi pour son successeur." en cette fin janvier 1881, les problemes ne manquaient pas pour gaston maspero. il s'agissait d'installer la mission, lui-meme et son epouse. on se logea d'abord chez la dame zanifa, une sage-femme du palais, dans une maison turque vert pistache entre deux ruelles; maspero poursuit dans sa lettre a egger; "je suis au premier avec deux chambres d'hotes, l'ecole est au second avec un escalier independant. nous possedons en commun un jardinet avec un puits d'eau et une terrasse d'ou on a le plus beau panorama qu'on puisse rever." il fallait aussi renover et agrandir le musee de boulaq, entreprise d'autant plus epuisante que les moyens financiers mis a sa disposition etaient minimes, mais maspero etait un homme aux multiples ressources, comme un passage d'une lettre adressee a renan le 20 decembre 1882 le laisse entrevoir: "j'ai du devenir entrepreneur de menuiserie pour eviter les frais. je dessine les armoires et je les fais executer sous mes yeux, en utilisant tous les vieux bois de rejet que nous avions en magasin et dont j'ai reussi a tirer quelques meubles qui ne jurent point avec les meubles du vieux-musee." les enfants de mariette etaient laisses sans ressources, quasiment a la rue. maspero devait leur venir en aide; c'est egalement lui qui plus tard, on 1901, obtiendra de la commission de la dette publique le vote d'un credit necessaire a l'erection d'une statue de mariette au caire. la mission archeologique, qui allait devenir l'ecole d'archeologie du caire |
- c'est on 1898, comme nous l'avons rappele, que sera cree vraiment l'ifao -, gaston maspero en confia la direction administrative a son ancien eleve eugene lefebure, n'en conservant que l'animation scientifique. des 1881, maspero se fit accompagner de bouriant et loret pour remonter le nil en bateau jusqu'a la premiere cataracte. veritable decouverte du pays; regarder seulement avec interdiction absolue de copier des inscriptions en cours de route, ne fut-ce qu'un seul signe hieroglyphique. "des ruines, un site celebre: on amarrait et on allait contempler. chaque soir, le bateau s'arretait pour passer la nuit: les fellahs accouraient et nous prenions avec eux nos premieres lecons pratiques d'arabe parle." deux decouvertes litteralement sensationnelles marquerent les debuts de gaston maspero a la tete du service des antiquites. c'est d'abord le degagement des chambres funeraires des pyramides a textes de saqqarah, celles d'ounas, le dernier souverain de la ve dynastie, de teti, pepy ier, merenre et pepy ii, de la vie dynastie. contrairement a l'opinion de mariette, cinq des pyramides soi-disant muettes de saqqarah en moins d'un an se mirent a parler. ainsi etait revelee la plus ancienne des compositions funeraires de l'humanite: sur des milliers de colonnes d'inscriptions, un ensemble de formules religieuses, d'hymnes, de proscriptions diverses permettant a pharaon de gagner l'eternite, selon une perpetuelle renaissance. sans aucun des instruments de travail que nous possedons maintenant, gaston maspero reussissait aussitot, au fur et a mesure de la decouverte et de la copie, a publier l'integralite de ces textes si difficiles. ce n'est pas sans emotion que j'ai pu feuilleter a la bibliotheque de l'institut les petits carnets que maspero glissait dans sa poche afin de pouvoir garder les mains libres, lors de ses difficiles explorations. car il fallait se glisser, parfois au peril de la vie, dans les enchevetrements monstrueux de blocs et les innombrables fragments provenant de l'exploitation en carriere de ces espaces souterrains. une seconde decouverte, particulierement retentissante, fut celle de la cachette des momies royales de deir-el-bahari. ce serait un vrai roman policier de vous en conter les episodes - et comment le chef des pilleurs ahmed abd-el-rassoul conduisit lui-meme les representants du service des antiquites vers les onze momies de souverains des xviiie-xxe dynasties, auxquelles s'ajoutaient celles de reines et de princesses ainsi que les restes d'un important mobilier funeraire. quelques annees plus tard, en novembre 1886, lors de la seance publique annuelle de notre academie des inscriptions et belles-lettres, maspero presenta ici-meme un expose intitule "les momies royales d'egypte recemment mises au jour". "l'egypte est vraiment la terre des merveilles! disait-il en conclusion. elle ne se contente pas [ ] de nous restituer les monuments dont on refait l'histoire du passe; elle nous rend les hommes memes qui ont erige les monuments et fait l'histoire. les grands souverains thoutmos (is) iii, seti ier, sesostris (notre ramsesii), ramses iii [ ] on les voit, on les touche, on mesure leur taille, on jauge la capacite de leur cerveau, on sait quelle etait la coupe de leur nez et de leur bouche, s'ils etaient chauves, s'ils avaient quelque infirmite secrete, et, comme s'il s'agissait d'un contemporain, on publie leur portrait d'apres nature, en photographie." retracer le bilan complet des entreprises et des decouvertes de gaston maspero nous retiendrait durant des heures. je mentionnerai seulement les travaux menes dans l'ancienne thebes: le degagement du grand temple de louxor, apres la difficile expropriation des habitants du village etabli sur les lieux - il ne fallut pas moins de trois annees de negociations pour aboutir, ainsi qu'une souscription ouverte par le journal des debats et le times pour reunir les fonds necessaires - ou encore la consolidation de l'ensemble des temples imperiaux de karnak. on se reportera aux lumineux rapports a l'institut egyptien sur les fouilles executees en egypte que maspero redigeait chaque annee, sans compter un volumineux memoire intitule trois annees de fouilles dans les tombeaux de thebes et de memphis. parallelement se poursuivit la mise on place d'un service des antiquites, desormais pourvu d'organes administratifs, et l'elaboration d'une legislation plus appropriee pour la preservation du patrimoine archeologique. en evoquant ce bilan positif, il ne faudrait pas perdre de vue les difficultes rencontrees: celles de la vie quotidienne, celles aussi dues aux evenements, tel que la terrible crise de l'ete 1882, avec la revolte nationaliste d'arabi et le bombardement d'alexandrie par les anglais: depart en "catastrophe" de louise maspero (qui venait de perdre un enfant mort a la naissance) et de sa mere mme d'estournelles de constant, du directeur et des eleves de l'ecole du caire; la capitale egyptienne ayant ete reprise par les anglais le 15 septembre, des le 16 maspero et son epouse quitterent paris pour etre de retour au caire le 22 septembre; d'alexandrie au caire, au fur et a mesure de l'avancee du train, on reposait de place on place les rails arraches par les insurges: douze heures d'une aventure perilleuse au lieu de l'habituel trajet en trois heures. en 1883, ce fut une epidemie de peste. en 1886, considerant son devoir comme accompli, gaston maspero pouvait legitimement songer a confier a d'autres sa lourde charge. sa propre sante et surtout celle de sa jeune femme louise commencaient a s'alterer. craignant fort pour ses deux fils survivants, henri et jean, cette derniere etait decidee a les laisser en france. or maspero n'envisageait guere de voir grandir ses enfants loin de lui. il voulait egalement reprendre sa chaire, se consacrer pleinement a son travail scientifique et surtout publier. ayant obtenu la nomination a son poste d'un de ses disciples francais, eugene grebaut, il pouvait quitter le caire en juillet 1886 avec le sentiment de ne pas avoir demerite. gaston maspero rentrait d'ailleurs a paris avec les honneurs, ayant ete elu le 30 novembre 1883 - il avait alors 32 ans - a l'academie des inscriptions et belles-lettres. voici un extrait de sa lettre de candidature adressee au president de l'epoque, l'helleniste et orientaliste leon heuzey: "je ne me dissimule point ce que ma demande a de temeraire (c'est ce que l'on nomme en rhetorique une hyperbole), mais depuis seize ans que je me suis consacre a l'etude des monuments egyptiens j'ai publie, sur differents points d'histoire, de grammaire et de mythologie beaucoup de memoires ils m'ont valu la bonne fortune d'etre appele a remplacer m. de rouge au college de france et m. mariette dans la direction des fouilles d'egypte: peut-etre me vaudront-ils l'honneur d'etre appele a sieger parmi vous?" pour cette election, une anecdote reste celebre dans les annales de notre compagnie: devant un succes assure, certains, pour preparer l'avenir, crurent pouvoir a un premier tour donner leur suffrage a gustave schlumberger, d'ailleurs un des meilleurs amis de maspero; mais cette bienveillance depassa la mesure et l'"on put penser un instant que l'egyptologie allait etre battue par le byzantinisme"; au second tour; gaston maspero eut une magnifique election. pour etre differente, l'activite que l'illustre savant deploya a paris, treize annees durant - de 1886 a 1899 -, ne fut pas moindre qu'en egypte. il reprit evidemment son cours au college de france et ce fut une periode d'une intense production scientifique: outre les inscriptions des pyramides de saqqarah, l'histoire ancienne des peuples de l'orient classique, deja evoques, il donna egalement un traite sur l'archeologie egyptienne (1887), un catalogue du musee egyptien de marseille (1889), sans compter un grand nombre d'articles et de memoires: les momies royales de deir-el-bahari publie on 1889; les fragments de la version thebaine de l'ancien testament, sortis des presses en 1892; les tombeaux thebains, parus en 1894. enfin en 1893, il entreprenait de rassembler tous les ecrits notables des egyptologues francais jusqu'alors disperses dans des livres tires a peu d'exemplaires, dans des revues et des journaux d'acces difficile: c'est la precieuse bibliotheque egyptologique qui comptera quarante volumes a sa mort, renfermant les oeuvres de chabas, rouge, mariette, rochemonteix, deveria, lefebure, de maspero lui-meme ainsi que les lettres de champollion le jeune. dans les toutes dernieres annees du siecle, la predominance culturelle francaise en egypte se trouva lourdement compromise. ce fut une periode de tension entre la france et le royaume-uni, dont l'incident de fachoda ne fut qu'un des episodes les plus fameux. le successeur de maspero, eugene grebaut, avait eu plusieurs conflits regrettables avec les autorites britanniques. si jacques de morgan, un specialiste de la perse antique, directeur de 1892 a 1897, avait un temps retabli des relations equilibrees, il en fut de nouveau autrement avec victor loret, directeur de 1897 a 1899, qui fut reduit a demissionner. du fait de son envergure scientifique, de son experience du pays et de ses anciennes relations avec les autorites anglaises, specialement avec celui qui depuis 1883 etait le consul general au caire, sir evelyn baring, le futur lord cromer, gaston maspero etait le seul a pouvoir retablir la situation. le 1er novembre 1899, il s'installait de nouveau en egypte ou devait regner bientot davantage de serenite, car on s'avancait insensiblement vers l'entente cordiale. il y restera directeur du service des antiquites jusqu'en juillet 1914, date a laquelle il prit sa retraite, son etat de sante s'etant lentement degrade. ces quinze nouvelles annees d'egypte furent particulierement riches d'activites. nous sommes d'ailleurs bien renseignes sur cette periode par les courriers qu'avec une regularite exemplaire - on moyenne deux ou trois lettres par semaine - gaston maspero faisait parvenir a sa femme louise; il ne quittait jamais le caine avant la fin juillet-debut aout pour y retourner fin octobre, son epouse gagnant la france environ un mois auparavant et ne la quittant qu'a la fin novembre. tout d'abord, la grande affaire du second mandat de gaston maspero en egypte fut celle de l'installation du nouveau musee archeologique eleve au caire sur les plans de l'architecte marcel dourgnon dans le quartier de qasr el-nil et inaugure on 1902; il dut inventorier, consolider et emballer les collections. maspero trouva aussi le temps de veiller a la reorganisation de ses services, creant notamment un certain nombre de musees provinciaux afin d'alleger le musee du caire - en particulier le musee d'alexandrie. des musees sans publications demeurent des lieux sans vie. maspero remania donc on 1902 son guide du visiteur au musee de boulaq qui, augmente, devint le guide du visiteur au musee du caire. outre la breve description d'un certain nombre de pieces exposees, c'etait aussi un petit traite des antiquites egyptiennes dont le succes aupres du public repondit a son haut degre de vulgarisation; il sera traduit en plusieurs langues et connaitra de multiples reeditions. plus tard, on reunira les articles fort apprecies qu'il donnait au temps et au journal des debats dans deux volumes intitules causeries d'egypte et ruines et paysages d'egypte; il publiera egalement en 1912, dans la collection "ars una", l'elegant volume egypte, une histoire complete de l'art egyptien de l'epoque thinite a l'occupation romaine. pour autant maspero ne negligea pas le monde savant: en 1902 il lanca la grande entreprise du catalogue general des antiquites egyptiennes du musee du caire, auquel il adjoignit plus tard celui du musee d'alexandrie; une cinquantaine de volumes sont parus sous son autorite. pour avoir un rapide apercu des travaux sur le terrain, il nous reste les rapports sur la marche du service des antiquites que gaston maspero adressait alors chaque annee au ministere des travaux publics, et qu'il jugea utile on 1912 de rassembler en un seul volume pour les annees 1899-1910; ces derniers permettent de mesurer l'ampleur des efforts qu'il consacra, pour l'essentiel, a la conservation, la reconstruction, ou la restauration des monuments de haute-egypte, trop souvent negliges. lorsqu'en 1904 les anglais deciderent - afin d'ameliorer les capacites d'irrigation de la vallee du nil - de relever de sept metres la hauteur du barrage d'assouan, menacant ainsi d'engloutissement, au moins partiel, un grand nombre d'edifices religieux de basse-nubie, dont ceux de l'ile de philae, maspero. apres negociation, reussit a obtenir des subsides suffisants (1,6 million de livres sterling!) pour isoler les temples et les consolider, mais aussi relever et publier leurs inscriptions. en cinq annees, avec l'aide de l'italien barsanti, quatorze temples situes entre assouan et ouadi-halfa furent alors l'objet de travaux et d'etudes. quant a l'ile de philae, dont le barrage vouait le fameux temple d'isis a l'immersion partielle, il en fit renforcer les vestiges. le bilan de cette oeuvre remarquable est la serie des temples immerges de nubie. pour rendre pleinement justice a l'oeuvre de maspero, il faudrait encore citer les recherches menees a saqqarah, et tant de travaux a karnak et sur la rive gauche thebaine. avant de quitter l'egypte, gaston maspero avait regle sa succession: pierre lacau, son ancien eleve au college de france et a l'ecole pratique des hautes etudes, directeur de l'institut francais d'archeologie orientale depuis 1912, sera nomme directeur du service des antiquites; avec une interruption pour venir combattre en france, pierre lacau le restera jusqu'en 1936. a son retour a paris, apres le deces de l'helleniste georges perret, secretaire perpetuel de l'academie des inscriptions et belles-lettres, maspero fut elu pour le remplacer le 24 juillet 1914. les courriers qu'il adressa a son epouse louise, alors en villegiature, permettent de suivre dans le detail les prolegomenes de cette election, certains ayant fait courir le bruit que maspero souhaitait encore prolonger son sejour en egypte. l'election cependant fut triomphale. en fait gaston maspero etait alors au sommet de sa gloire; appartenant a toutes les academies d'europe ainsi qu'a l'american academy of arts and sciences, docteur honoris causa, commandeur de la legion d'honneur, il avait ete aussi recu on 1909 dans l'ordre britannique des saints-michel-et-georges, ce qui lui donnait droit a l'appellation de sir. bien que fatigue par le travail si intense qu'il avait fourni en egypte, gaston maspero publia un memoire intitule chansons populaires recueillies dans la haute-egypte de 1900 a 1914 - petite mine pour les ethnographes - qu'il avait collectees durant ses tournees d'inspection annuelles - et entreprit une introduction a l'etude de la phonetique egyptienne. cependant, bouleverse par la perte de son fils jean, mort au champ d'honneur en fevrier 1915, maspero ne lui survecut guere. affaibli par une attaque survenue a cette terrible nouvelle, il conserva neanmoins jusqu'au dernier moment la plenitude de ses qualites intellectuelles. il deceda le vendredi 30 juin 1916 en presentant a ses confreres, dans la grande salle des seances de l'institut, la liste des livres offerts a l'academie; mais laissons la parole a hemi cordier, le sinologue, son ami de toujours, qui, tout a son emotion, nous a conserve la memoire de cette journee funeste: "il (maspero) s'arreta et ne put que dire: "mes chers confreres, je vous prie de m'excuser, je ne me sens pas bien." sa tete s'inclina sur sa poitrine, il palit, un petit rale le secoua, le sang monta a son visage, puis, devenu d'une blancheur mortelle, il se renversa en arriere sur sa chaise. tout etait fini." avec gaston maspero disparaissait le dernier savant qui ait ete un egyptologue complet, tout aussi a l'aise dans la philologie et l'etude des textes que dans l'archeologie et l'interpretation historique - et ceci de la tres lointaine protohistoire jusqu'a la basse epoque greco-romaine et meme aux etudes coptes. d'une incommensurable erudition, il a su donner, dans un style elegant, des syntheses lumineuses; pour tant de jeunes a jailli de ses ouvrages l'etincelle de la vocation. administrateur hors pair, il a consacre une part considerable de ses efforts a l'organisation de notre science. par ses activites inlassables dans la vallee du nil, ou son nom continue d'etre respecte, a paris meme tant au college de france que dans notre institut, il apparait comme le digne heritier de champollion et de mariette, le modele pour des generations de savants non seulement en france mais sur la scene internationale. il n'etait donc que justice d'honorer cet apres-midi le souvenir de gaston maspero, dans la longue chaine d'amicale cooperation entre l'egypte et la france. |