La publication de la cour à portique de Thoutmosis IV est l'aboutissement
d'une longue et patiente recherche, entreprise par Bernadette Letellier en 1969,
dans les premiers temps du Centre franco-égyptien d'étude des temples de Karnak, sous
la direction de Serge Sauneron. Si cette recherche a pris plus de quarante ans pour
aboutir, le monument lui-même a connu une histoire compliquée. Construit par
Thoutmosis IV, probablement à l'emplacement même d'un édifice analogue mis en
place par Thoutmosis II, il est démonté par Amenhotep III, qui en utilise en grande
partie les blocs en bourrage des fondations du pylône qu'il construit alors, en empiétant
sur l'espace qu'il couvrait sur le parvis du temple. Certains éléments échappent au
démontage, restant associés au parvis du ive pylône, quelques-uns sont remployés plus
tard dans d'autres monuments, notamment par Ramsès II.
Il faut attendre 1927 et les premiers dégagements qu'effectue Henri Chevrier
dans le môle sud du iiie pylône pour que ce monument sorte de l'oubli. Le processus
de cette première renaissance dure, lui aussi, une trentaine d'années, jusqu'en 1956.
Henri Chevrier, puis ses successeurs rangent les blocs dégagés dans le musée de Plein
air proche. Il publie lui-même, avec Pierre Lacau, un premier assemblage fragmentaire,
tandis que les blocs, désormais exposés au jour, suscitent l'intérêt de Jean Leclant et Jean
Yoyotte, qui repèrent une représentation de la porte du ive pylône, — que Jean Yoyotte
rapproche du porche figuré dans la tombe d'Amenhotep-Sisé —, également de Karol
Mys´liwiec, pour les superbes portraits de Thoutmosis IV. Paul Barguet donne, en 1962,
la première interprétation d'ensemble de ce monument.
Les années difficiles passées, la création du Centre franco égyptien d'étude
des temples de Karnak permet de commencer vraiment les recherches. Serge Sauneron
ayant confié le dossier à Bernadette Letellier, celle-ci entreprend dès 1970 un patient
travail de puzzle qu'elle met régulièrement à l'épreuve du terrain, puis, finalement,
s'associe à François Larché dans la fin des années quatre-vingt, pour arriver à l'anastylose
aujourd'hui offerte au regard des visiteurs dans le musée de Plein air et à cette publication,
qui rend compte autant de la démarche que des résultats obtenus.
Chacun des deux auteurs a apporté sa compétence, donnant à cette étude une
profondeur historique et architecturale que ni l'égyptologue, ni l'architecte n'auraient
pu, seul, atteindre. Le résultat est un livre à deux voix, dont chacune tient avec bonheur
sa partition, portant un regard parfois différent, mais toujours complémentaire
de l'autre. Cette double lecture, toujours stimulante, permet autant de revoir certaines
théories émises ces dernières années que de présenter de nouvelles constatations. Car
cet édifice joue un rôle crucial dans l'histoire et la compréhension du fonctionnement
liturgique du temple. L'espace sur lequel il a été édifié, en effet, est le point d'articulation
des entrées et sorties processionnelles du dieu, et ce dès le jour où un pylône ferma
le temenos à l'ouest : le parvis ainsi créé était, de fait, le point de rencontre du dieu et du
monde extérieur à l'enceinte sacrée.