Michel BAUD et Nicolas GRIMAL (éd.), Événement, récit, histoire officielle. L’écriture de l’histoire dans les monarchies antiques, Études d’égyptologie 3, Chaire de civilisation pharaonique du Collège de France, éditions Cybèle, Paris, 2003, in-4°, 324 p.

Cet ouvrage constitue les actes d’un colloque international organisé par la chaire de Civilisation pharaonique au Collège de France les 24 et 25 juin 2002. La rencontre réunissait 17 spécialistes du sud méditerranéen et du Proche-Orient antique et médiéval, dont quatre professeurs du Collège de France, autour du thème de l’écriture de l’histoire, plus particulièrement des supports de celle-ci dans les monarchies antiques. L’intention de ces deux journées était, comme le rappelle l’introduction (Michel Baud et Nicolas Grimal, « L’écriture de l’histoire dans les monarchies antiques. Une introduction », p. 7-11), de tenter de suivre la démarche historiographique à travers la mise en forme qu’en donne l’histoire officielle, principalement sur les monuments et documents publics. Ce projet s’inscrit dans le cadre des travaux du séminaire de la chaire d’égyptologie, consacré à l’étude et à l’édition des Annales de Thoutmosis III du temple d’Amon-Rê à Karnak. C’est une réflexion sur la composition de cet ensemble (Nicolas GRIMAL, « Des notes à l’affichage. Quelques réflexions sur l’élaboration des inscriptions historiques royales égyptiennes », p. 13-48) qui ouvre le premier des quatre thèmes retenus pour cette rencontre : l’élaboration du récit historique. Des minutes militaires notées sur le terrain à leur mise en forme littéraire, des recensions de tributs à leur description sur la paroi, tant par le texte que par l’image, on voit se constituer, à travers ces annales, une longue litanie d’offrandes, étirée sur vingt ans de règne, par laquelle Thoutmosis III rend à Amon-Rê l’hommage en échange duquel ce dernier assure son pouvoir. Cette composition monumentale, qui enserre la chapelle reposoir de la barque sacrée, apparaît ainsi moins comme un texte à vocation historique que comme un mémorial royal affirmant avec éclat les fondements de la théocratie. La position de cet ensemble dans le temple est, enfin, analysée à la lumière des fouilles récentes du Centre franco-égyptien d’étude des temples de Karnak, qui permettent désormais de mieux comprendre son rôle dans le dispositif cultuel, ainsi que les origines historiques de celui-ci. C’est ensuite la place des guerres araméennes et assyriennes dans la tradition d’Israël qui est analysée par Françoise Briquel-Chatonnet (« Les guerres araméennes et assyriennes dans le livre des Rois », p. 49-61). L’auteur montre comment l’aspect au premier abord purement annalistique du Livre des Rois recouvre, en fait, le travail idéologique qui a commandé sa rédaction à l’époque du second Temple : utiliser l’événement non pour construire une trame historique ou chronologique, mais pour témoigner de la relation qui unit Dieu aux hommes. C’est ainsi que la chute de Samarie et la disparition du royaume d’Israël sous les coups de l’Assyrie sont conçus comme le châtiment d’un peuple qui ne pourra retrouver son identité que dans sa fidélité à la monarchie divine, après avoir connu l’échec de la monarchie humaine. Jean-Jacques GLASSNER (« Entre le discours politique et la science divinatoire. Le récit historiographique en Mésopotamie », p. 63-86) dresse un tableau de l’historiographie mésopotamienne depuis le temps des premiers rois, dégageant les principaux thèmes du discours politique entre hagiographie, récit historiographique et, à partir du deuxième millénaire av. J.-C., intervention des devins dans la construction de l’espace et du temps de l’histoire. Pour revenir aux textes royaux égyptiens, enfin, Claude OBSOMER (« Ramsès II face aux événements de Qadesh : pourquoi deux récits différents ? », p. 87-95) tente de percer les intentions qui ont présidé à la rédaction de deux versions différentes de la célèbre campagne de l’an 5 de Ramsès II. La première, le Poème, serait plus idéologique, tandis que la seconde, le Bulletin, plus réaliste, rendrait compte du résultat réel de la campagne. Le deuxième thème retenu, celui des genres historiques et des écritures de l’histoire, est abordé d’abord par Maria Grazia MASETTI-ROUAULT à travers un topos des inscriptions royales assyriennes, celui de la communication (« Le motif littéraire de la communication dans les inscriptions royales assyriennes, (XIe- VIIe av. J.-C.) », p. 97-113). L’auteur passe en revue l’emploi de cette forme de récit indirect dans les documents de la chancellerie royale, au cours de presque un demi-millénaire. Elle met en évidence les apports tant littéraires qu’historiographiques d’un procédé qui avait probablement pour première raison d’être d’ancrer plus fortement dans l’humain des récits que leur contenu idéologique rattachait à l’excès au mythe. C’est également cette relation de l’histoire et du mythe que Mireille HADAS-LEBEL décrit dans l’œuvre de Flavius Josèphe (« Prophétie et histoire chez Flavius Josèphe », p. 115-127). Qui mieux, en effet, que l’historiographe mandaté par Vespasien pour écrire l’histoire de la guerre de Judée pouvait, de par sa propre culture, au confluent du judaïsme et de l’hellénisme, mais aussi pour avoir été l’un des acteurs de cette guerre, faire le lien entre prophètes et historiens ? Il fut aussi le dernier historien juif de l’Antiquité. Le brillant parallèle qu’établit l’auteur entre Tacite et lui en éclaire les raisons probables. À mi-chemin entre récit royal et autobiographie, Olivier PERDU démonte les raisons qui ont présidé à la rédaction de ce que les égyptologues ont appelé la « chronique du prince Osorkon (« De la chronique d’Osorkon aux annales héliopolitaines de la Troisième période intermédiaire », p. 129-142). Cette longue inscription pariétale, gravée dans le temple de Karnak, dans un contexte royal, reflète la situation politique complexe de l’Égypte au IXe siècle av. J.-C. Bien que n’étant pas lui-même roi, le protagoniste construit son récit selon les règles du « récit royal ». Sans usurper aucune prérogative d’un statut qui n’est pas le sien, il fonde son action sur sa piété personnelle envers Amon, jouant ainsi du même ressort qu’un pharaon régnant et rejoignant une tradition que les souverains de la dynastie libyenne contemporaine eux-mêmes développent. Deux exemples médiévaux sont ensuite invoqués, en contrepoint : l’empire ottoman et Byzance. Nicolas VATIN analyse une « lettre de conquête », envoyée par le sultan Selîm II au chah d’Iran au terme de sa campagne militaire de 1566 en Hongrie (« Un exemple d’histoire officielle ottomane ? Le récit de la campagne de Szigetvár (1566) dans une lettre du sultan Selîm II au chah d’Iran Tahmasp », p. 143-154). Ce document, dont les intentions de propagande idéologique ne sont pas à démontrer, présente la particularité d’avoir un parallèle inattendu : un récit de la campagne, rédigé par le même auteur, Feridoun Bey, qui participa aux combats. La comparaison des deux met en évidence les mécanismes de distorsion des faits, dont la réalité n’est pas transformée, ceux-ci étant plutôt choisis en fonction des intentions du sultan. Autre exemple d’une écriture double de l’histoire, la chronique de Jean de Nikiou, que Jean-Michel CARRIÉ (« Jean de Nikiou et sa chronique : une écriture « égyptienne » de l’histoire ? », p. 155-172) compare à la tradition de la Chronique universelle de Jean Malalas. Plus qu’un régionalisme égyptien, c’est une réelle rupture de l’unité morale et culturelle du monde byzantin que révèle cette comparaison. Troisième éclairage de ce colloque, tout aussi central : la relation entre histoire, idéologie et autobiographie royale est illustrée par cinq contributions, deux concernant la civilisation pharaonique, les trois autres trois des grands empires du monde antique : les Hittites, les Achéménides et la Rome d’Auguste. Pierre GRANDET aborde la nature autobiographique du récit royal (« L’historiographie égyptienne, (auto) biographie des rois ? », p. 187-194), pour la comparer au récit que font les particuliers de leur vie : un récit orienté en fonction du rôle que chacun doit jouer dans l’ordre établi, rois comme particuliers. Roberto B. GOZZOLI (« Continuité et changement dans les inscriptions royales égyptiennes du premier millénaire av. J.-C. Quelques exemples », p. 209-245) s’attache à comparer les inscriptions royales monumentales, de la fin du Nouvel Empire à la conquête d’Alexandre, pour dégager une tendance commune à rechercher la continuité et la tradition, mais aussi, du fait même de ce constant recours aux sources, une création littéraire particulièrement florissante dans les textes de la période éthiopienne. Emilia MASSON (« Les Hittites. Entre réalité historique, équivoque et propagande », p. 195-207) dresse un panorama vigoureux de l’historiographie hittite, tandis que Pierre BRIANT (« Quand les rois écrivent l’histoire : la domination achéménide vue à travers les inscriptions officielles lagides », p. 173-186) analyse, à travers les sources ptolémaïques et séleucides, les incidences de la propagande grecque anti-perse. John SCHEID, enfin, (« Auguste et le passé. Restauration et histoire au début », p. 247-257), montre, par une analyse serrée des restaurations de la tradition mise en place par Auguste le jeu subtil qui permit au nouveau maître du monde dans le même temps d’inscrire son pouvoir dans sa propre tradition politique nationale et de faire de Rome la métropole du monde. Dernier volet de cette enquête : la relation entre support, format et contenu des documents historiques. Gilles VEINSTEIN (« Chronologie différentielle des titres royaux selon les supports utilisés. Quelques exemples empruntés à la documentation ottomane », p. 259-270) présente une enquête sur les titres des souverains de la dynastie ottomane aux XIVe et XVe siècles, c’est-à-dire au moment de l’ascension la plus forte de leur pouvoir. Les résultats auxquels il parvient ne peuvent manquer d’inciter l’historien à la prudence. Selon le support, voire selon la place qu’ils occupent sur des supports analogues, les titres apparaissent ou disparaissent, en suivant une logique des circonstances, voire de l’instant. Ces différences procèdent assurément de la diversité des systèmes politiques partenaires ou constituant la Porte et reflètent les étapes que celle-ci suit pour se définir par rapport à eux. Michel BAUD (« Le format de l’histoire. Annales royales et biographies des particuliers dans l’Égypte du IIIe millénaire », p. 271-302) donne une analyse précise des formats d’écriture des documents relevant du système annalistique en Égypte ancienne, qu’il s’agisse de récapitulatifs annuels ou de documents de chancellerie. Il met en évidence leur vocation commune, l’affichage monumental, et, par référence à ce dernier, établit le lien entre ces documents et les récits autobiographiques. L’influence formelle des textes royaux joue ainsi, dès l’Ancien Empire, sur les récits privés, auxquels ils servent également de référence historique. Par la suite, l’influence joue dans l’autre sens, jusqu’à déboucher sur le récit royal. Agnès ROUVERET (« La vision livienne des premiers siècles de Rome entre réalité et fiction », p. 303-320), enfin, met en lumière les éléments iconographiques sur lesquels Tite-Live joue, comme il le fait de l’arsenal stylistique à sa disposition, dans la recomposition du passé de Rome.

Ces expériences croisées autour de ces quatre thèmes, par-delà les informations qu’elles regroupent, mettent en évidence des constantes dans l’écriture de l’histoire, de la recomposition du passé à l’écriture proprement historiographique, qui ont toutes en commun, ce que les monarchies qu’elles expriment recherchaient : leur inscription dans un monde dont elles sont le garant.

Nicolas GRIMAL, hommage du vendredi 13 février 2004 Nicolas GRIMAL, hommage du vendredi 13 février
 
michel baud et nicolas grimal (ed.), evenement, recit, histoire officielle. l'ecriture de l'histoire dans les monarchies antiques, etudes d'egyptologie 3, chaire de civilisation pharaonique du college de france, editions cybele, paris, 2003, in-4°, 324 p.

cet ouvrage constitue les actes d'un colloque international organise par la chaire de civilisation pharaonique au college de france les 24 et 25 juin 2002. la rencontre reunissait 17 specialistes du sud mediterraneen et du proche-orient antique et medieval, dont quatre professeurs du college de france, autour du theme de l'ecriture de l'histoire, plus particulierement des supports de celle-ci dans les monarchies antiques. l'intention de ces deux journees etait, comme le rappelle l'introduction (michel baud et nicolas grimal, "l'ecriture de l'histoire dans les monarchies antiques. une introduction", p. 7-11), de tenter de suivre la demarche historiographique a travers la mise en forme qu'en donne l'histoire officielle, principalement sur les monuments et documents publics. ce projet s'inscrit dans le cadre des travaux du seminaire de la chaire d'egyptologie, consacre a l'etude et a l'edition des annales de thoutmosis iii du temple d'amon-re a karnak. c'est une reflexion sur la composition de cet ensemble (nicolas grimal, "des notes a l'affichage. quelques reflexions sur l'elaboration des inscriptions historiques royales egyptiennes", p. 13-48) qui ouvre le premier des quatre themes retenus pour cette rencontre: l'elaboration du recit historique. des minutes militaires notees sur le terrain a leur mise en forme litteraire, des recensions de tributs a leur description sur la paroi, tant par le texte que par l'image, on voit se constituer, a travers ces annales, une longue litanie d'offrandes, etiree sur vingt ans de regne, par laquelle thoutmosis iii rend a amon-re l'hommage en echange duquel ce dernier assure son pouvoir. cette composition monumentale, qui enserre la chapelle reposoir de la barque sacree, apparait ainsi moins comme un texte a vocation historique que comme un memorial royal affirmant avec eclat les fondements de la theocratie. la position de cet ensemble dans le temple est, enfin, analysee a la lumiere des fouilles recentes du centre franco-egyptien d'etude des temples de karnak, qui permettent desormais de mieux comprendre son role dans le dispositif cultuel, ainsi que les origines historiques de celui-ci. c'est ensuite la place des guerres arameennes et assyriennes dans la tradition d'israel qui est analysee par francoise briquel-chatonnet ("les guerres arameennes et assyriennes dans le livre des rois", p. 49-61). l'auteur montre comment l'aspect au premier abord purement annalistique du livre des rois recouvre, en fait, le travail ideologique qui a commande sa redaction a l'epoque du second temple: utiliser l'evenement non pour construire une trame historique ou chronologique, mais pour temoigner de la relation qui unit dieu aux hommes. c'est ainsi que la chute de samarie et la disparition du royaume d'israel sous les coups de l'assyrie sont concus comme le chatiment d'un peuple qui ne pourra retrouver son identite que dans sa fidelite a la monarchie divine, apres avoir connu l'echec de la monarchie humaine. jean-jacques glassner ("entre le discours politique et la science divinatoire. le recit historiographique en mesopotamie", p. 63-86) dresse un tableau de l'historiographie mesopotamienne depuis le temps des premiers rois, degageant les principaux themes du discours politique entre hagiographie, recit historiographique et, a partir du deuxieme millenaire av. j.-c., intervention des devins dans la construction de l'espace et du temps de l'histoire. pour revenir aux textes royaux egyptiens, enfin, claude obsomer ("ramses ii face aux evenements de qadesh: pourquoi deux recits differents?", p. 87-95) tente de percer les intentions qui ont preside a la redaction de deux versions differentes de la celebre campagne de l'an 5 de ramses ii. la premiere, le poeme, serait plus ideologique, tandis que la seconde, le bulletin, plus realiste, rendrait compte du resultat reel de la campagne. le deuxieme theme retenu, celui des genres historiques et des ecritures de l'histoire, est aborde d'abord par maria grazia masetti-rouault a travers un topos des inscriptions royales assyriennes, celui de la communication ("le motif litteraire de la communication dans les inscriptions royales assyriennes, (xie- viie av. j.-c.)", p. 97-113). l'auteur passe en revue l'emploi de cette forme de recit indirect dans les documents de la chancellerie royale, au cours de presque un demi-millenaire. elle met en evidence les apports tant litteraires qu'historiographiques d'un procede qui avait probablement pour premiere raison d'etre d'ancrer plus fortement dans l'humain des recits que leur contenu ideologique rattachait a l'exces au mythe. c'est egalement cette relation de l'histoire et du mythe que mireille hadas-lebel decrit dans l'oeuvre de flavius josephe ("prophetie et histoire chez flavius josephe", p. 115-127). qui mieux, en effet, que l'historiographe mandate par vespasien pour ecrire l'histoire de la guerre de judee pouvait, de par sa propre culture, au confluent du judaisme et de l'hellenisme, mais aussi pour avoir ete l'un des acteurs de cette guerre, faire le lien entre prophetes et historiens? il fut aussi le dernier historien juif de l'antiquite. le brillant parallele qu'etablit l'auteur entre tacite et lui en eclaire les raisons probables. a mi-chemin entre recit royal et autobiographie, olivier perdu demonte les raisons qui ont preside a la redaction de ce que les egyptologues ont appele la "chronique du prince osorkon ("de la chronique d'osorkon aux annales heliopolitaines de la troisieme periode intermediaire", p. 129-142). cette longue inscription parietale, gravee dans le temple de karnak, dans un contexte royal, reflete la situation politique complexe de l'egypte au ixe siecle av. j.-c. bien que n'etant pas lui-meme roi, le protagoniste construit son recit selon les regles du "recit royal". sans usurper aucune prerogative d'un statut qui n'est pas le sien, il fonde son action sur sa piete personnelle envers amon, jouant ainsi du meme ressort qu'un pharaon regnant et rejoignant une tradition que les souverains de la dynastie libyenne contemporaine eux-memes developpent. deux exemples medievaux sont ensuite invoques, en contrepoint: l'empire ottoman et byzance. nicolas vatin analyse une "lettre de conquete", envoyee par le sultan selim ii au chah d'iran au terme de sa campagne militaire de 1566 en hongrie ("un exemple d'histoire officielle ottomane? le recit de la campagne de szigetvar (1566) dans une lettre du sultan selim ii au chah d'iran tahmasp", p. 143-154). ce document, dont les intentions de propagande ideologique ne sont pas a demontrer, presente la particularite d'avoir un parallele inattendu: un recit de la campagne, redige par le meme auteur, feridoun bey, qui participa aux combats. la comparaison des deux met en evidence les mecanismes de distorsion des faits, dont la realite n'est pas transformee, ceux-ci etant plutot choisis en fonction des intentions du sultan. autre exemple d'une ecriture double de l'histoire, la chronique de jean de nikiou, que jean-michel carrie ("jean de nikiou et sa chronique: une ecriture "egyptienne" de l'histoire?", p. 155-172) compare a la tradition de la chronique universelle de jean malalas. plus qu'un regionalisme egyptien, c'est une reelle rupture de l'unite morale et culturelle du monde byzantin que revele cette comparaison. troisieme eclairage de ce colloque, tout aussi central: la relation entre histoire, ideologie et autobiographie royale est illustree par cinq contributions, deux concernant la civilisation pharaonique, les trois autres trois des grands empires du monde antique: les hittites, les achemenides et la rome d'auguste. pierre grandet aborde la nature autobiographique du recit royal ("l'historiographie egyptienne, (auto) biographie des rois?", p. 187-194), pour la comparer au recit que font les particuliers de leur vie: un recit oriente en fonction du role que chacun doit jouer dans l'ordre etabli, rois comme particuliers. roberto b. gozzoli ("continuite et changement dans les inscriptions royales egyptiennes du premier millenaire av. j.-c. quelques exemples", p. 209-245) s'attache a comparer les inscriptions royales monumentales, de la fin du nouvel empire a la conquete d'alexandre, pour degager une tendance commune a rechercher la continuite et la tradition, mais aussi, du fait meme de ce constant recours aux sources, une creation litteraire particulierement florissante dans les textes de la periode ethiopienne. emilia masson ("les hittites. entre realite historique, equivoque et propagande", p. 195-207) dresse un panorama vigoureux de l'historiographie hittite, tandis que pierre briant ("quand les rois ecrivent l'histoire: la domination achemenide vue a travers les inscriptions officielles lagides", p. 173-186) analyse, a travers les sources ptolemaiques et seleucides, les incidences de la propagande grecque anti-perse. john scheid, enfin, ("auguste et le passe. restauration et histoire au debut", p. 247-257), montre, par une analyse serree des restaurations de la tradition mise en place par auguste le jeu subtil qui permit au nouveau maitre du monde dans le meme temps d'inscrire son pouvoir dans sa propre tradition politique nationale et de faire de rome la metropole du monde. dernier volet de cette enquete: la relation entre support, format et contenu des documents historiques. gilles veinstein ("chronologie differentielle des titres royaux selon les supports utilises. quelques exemples empruntes a la documentation ottomane", p. 259-270) presente une enquete sur les titres des souverains de la dynastie ottomane aux xive et xve siecles, c'est-a-dire au moment de l'ascension la plus forte de leur pouvoir. les resultats auxquels il parvient ne peuvent manquer d'inciter l'historien a la prudence. selon le support, voire selon la place qu'ils occupent sur des supports analogues, les titres apparaissent ou disparaissent, en suivant une logique des circonstances, voire de l'instant. ces differences procedent assurement de la diversite des systemes politiques partenaires ou constituant la porte et refletent les etapes que celle-ci suit pour se definir par rapport a eux. michel baud ("le format de l'histoire. annales royales et biographies des particuliers dans l'egypte du iiie millenaire", p. 271-302) donne une analyse precise des formats d'ecriture des documents relevant du systeme annalistique en egypte ancienne, qu'il s'agisse de recapitulatifs annuels ou de documents de chancellerie. il met en evidence leur vocation commune, l'affichage monumental, et, par reference a ce dernier, etablit le lien entre ces documents et les recits autobiographiques. l'influence formelle des textes royaux joue ainsi, des l'ancien empire, sur les recits prives, auxquels ils servent egalement de reference historique. par la suite, l'influence joue dans l'autre sens, jusqu'a deboucher sur le recit royal. agnes rouveret ("la vision livienne des premiers siecles de rome entre realite et fiction", p. 303-320), enfin, met en lumiere les elements iconographiques sur lesquels tite-live joue, comme il le fait de l'arsenal stylistique a sa disposition, dans la recomposition du passe de rome.

ces experiences croisees autour de ces quatre themes, par-dela les informations qu'elles regroupent, mettent en evidence des constantes dans l'ecriture de l'histoire, de la recomposition du passe a l'ecriture proprement historiographique, qui ont toutes en commun, ce que les monarchies qu'elles expriment recherchaient: leur inscription dans un monde dont elles sont le garant.

nicolas grimal, hommage du vendredi 13 fevrier 2004 nicolas grimal, hommage du vendredi 13 fevrier