Ce «châle» de Sabine, ou quelle que soit la nature de la pièce de tissu si merveilleusement décorée dont Marie-Hélène Rutschowscaya donne ici une belle publication, est un document séduisant par bien des côtés, et qui fit rêver tout Paris, il y a un siècle. Cette pièce de tissu, réutilisée comme linceul par une grande dame de la capitale de la Thébaïde dans les premiers temps de l’ère byzantine, témoigne par les délicates broderies dont elle est parsemée du raffinement tout oriental dont Antinoé avait su enrichir le fonds hellénistique, sur lequel son créateur, l’empereur Hadrien, l’avait fondée, éperdu de chagrin après la mort dramatique de son favori Antinoös. Car cette «Sabina», qui ne nous est connue que par sa tombe et les magnifiques atours qui la paraient à jamais, pour anonyme qu’elle reste encore, participe, que ce soit par le mantelet de cachemire qui la recouvrait ou cette tenture précieuse dont elle s’était faite envelopper, du luxe et de l’extraordinaire culture de cette société de Haute-Égypte, hésitante, vacillante presque, en ce milieu du ve siècle de notre ère, entre le monde païen et Byzance qui s’imposait avec force. Le décor du «châle» nous introduit dans la subtile acculturation orientale de la civilisation alexandrine. L’Artémis triomphante piétinant un lion est un probable rappel sassanide, transmis par les arts métalliques romains et dont on retrouve l’écho dans les mosaïques d’Alep et d’Antioche; tandis que la métamorphose de Daphné, l’aimée de son frère Apollon, est à mi-chemin des mythes de renaissance égyptien et chrétien. L’image de Bellérophon saisissant les rênes de Pégase piétinant la Chimère, allégorie du Bien triomphant du Mal, peut être également revendiquée par la Rome impériale ou la chrétienté triomphante. Le tout au milieu de scènes nilotiques peuplées de puttiÉ Bref, un ensemble brillant, puisé aux sources grecque, romaine et orientale, mais teinté du charme accueillant des rives du Nil. La découverte de tant de splendeur ne pouvait qu’être elle-même hors du commun, et la personnalité des découvreurs exceptionnelle: Albert Gayet, fouilleur aussi haut en couleurs que son mécène, l’industriel passionné des cultes isiaques, Émile Guimet. De 1896 à la veille de la Grande Guerre, Albert Gayet fouille Antinoé, dégageant certaines années plus de deux milles tombes. Le tout avec force publicité et entrecoupé de polémiques parfois vigoureuses, que le public suit avec passion. Émile Guimet, de son côté, enrichit le musée qu’il a fondé à Lyon de ces découvertes, si remarquables et abondantes que l’on doit rapidement les répartir entre plusieurs autres musées. Si bien que lorsque Sabine revoit la lumière du jour, au cours de l’hiver 1902-1903, son sort est déjà scellé. Le châle est partagé entre les musées des Beaux-Arts et des Tissus de Lyon et le musée du Louvre, tandis qu’une quatrième partie entreprend un cheminement plus compliqué, qui la fera arriver dans une collection parisienne, oò elle se trouve encore. En une recherche aussi dense que passionnante, mêlant image et texte, Marie-Hélène Rutschowscaya décrit, analyse, reconstitue ce monument unique: elle en donne la première étude scientifique complète, associant analyse des tissus et des techniques à un commentaire artistique et historique rigoureux. Mais elle a aussi le grand talent d’en faire vivre au lecteur la découverte et son retentissement dans le xixe siècle finissant et la Belle Époque. L’Antiquité bouffonne de Jacques Offenbach n’est pas la seule alors à tenir la scène parisienne. Victorien Sardou et Jules Massenet créent en 1884 Théodora pour Sarah Bernhardt, passionnée elle-même par les collections d’art byzantin de Gustave Schlumberger. Et lorsque la grande actrice reprit le rôle, en 1902, dans le théâtre qui portait désormais son nom, elle demanda à Théophile Thomas de s’inspirer aussi des tissus d’Antinoé pour dessiner les costumes du drame, comme il l’avait déjà fait auparavant des mosaïques de Ravenne. Une nouvelle vie commençait pour Sabine et ses contem-porainsÉ Marie-Hélène Rutschowscaya a bien voulu confier son ouvrage aux Études d’égyptologie qui paraissent sous l’égide de la chaire de civilisation pharaonique du Collège de France. Je la remercie de nous avoir fait cet honneur. Cette série bénéficie désormais de l’appui des éditions Arthème Fayard qui ont fait le pari généreux de couvrir de leur aile bienveillante et protectrice nos travaux en les publiant et en les diffusant. Puissent leur directeur général, Claude Durand, et Denis Maraval, responsable de cette nouvelle coopération, trouver ici l’expression de ma profonde reconnaissance.

Nicolas Grimal
 
ce "chale" de sabine, ou quelle que soit la nature de la piece de tissu si merveilleusement decoree dont marie-helene rutschowscaya donne ici une belle publication, est un document seduisant par bien des cotes, et qui fit rever tout paris, il y a un siecle. cette piece de tissu, reutilisee comme linceul par une grande dame de la capitale de la thebaide dans les premiers temps de l'ere byzantine, temoigne par les delicates broderies dont elle est parsemee du raffinement tout oriental dont antinoe avait su enrichir le fonds hellenistique, sur lequel son createur, l'empereur hadrien, l'avait fondee, eperdu de chagrin apres la mort dramatique de son favori antinous. car cette "sabina", qui ne nous est connue que par sa tombe et les magnifiques atours qui la paraient a jamais, pour anonyme qu'elle reste encore, participe, que ce soit par le mantelet de cachemire qui la recouvrait ou cette tenture precieuse dont elle s'etait faite envelopper, du luxe et de l'extraordinaire culture de cette societe de haute-egypte, hesitante, vacillante presque, en ce milieu du ve siecle de notre ere, entre le monde paien et byzance qui s'imposait avec force. le decor du "chale" nous introduit dans la subtile acculturation orientale de la civilisation alexandrine. l'artemis triomphante pietinant un lion est un probable rappel sassanide, transmis par les arts metalliques romains et dont on retrouve l'echo dans les mosaiques d'alep et d'antioche; tandis que la metamorphose de daphne, l'aimee de son frere apollon, est a mi-chemin des mythes de renaissance egyptien et chretien. l'image de bellerophon saisissant les renes de pegase pietinant la chimere, allegorie du bien triomphant du mal, peut etre egalement revendiquee par la rome imperiale ou la chretiente triomphante. le tout au milieu de scenes nilotiques peuplees de puttiÉ bref, un ensemble brillant, puise aux sources grecque, romaine et orientale, mais teinte du charme accueillant des rives du nil. la decouverte de tant de splendeur ne pouvait qu'etre elle-meme hors du commun, et la personnalite des decouvreurs exceptionnelle: albert gayet, fouilleur aussi haut en couleurs que son mecene, l'industriel passionne des cultes isiaques, emile guimet. de 1896 a la veille de la grande guerre, albert gayet fouille antinoe, degageant certaines annees plus de deux milles tombes. le tout avec force publicite et entrecoupe de polemiques parfois vigoureuses, que le public suit avec passion. emile guimet, de son cote, enrichit le musee qu'il a fonde a lyon de ces decouvertes, si remarquables et abondantes que l'on doit rapidement les repartir entre plusieurs autres musees. si bien que lorsque sabine revoit la lumiere du jour, au cours de l'hiver 1902-1903, son sort est deja scelle. le chale est partage entre les musees des beaux-arts et des tissus de lyon et le musee du louvre, tandis qu'une quatrieme partie entreprend un cheminement plus complique, qui la fera arriver dans une collection parisienne, ou elle se trouve encore. en une recherche aussi dense que passionnante, melant image et texte, marie-helene rutschowscaya decrit, analyse, reconstitue ce monument unique: elle en donne la premiere etude scientifique complete, associant analyse des tissus et des techniques a un commentaire artistique et historique rigoureux. mais elle a aussi le grand talent d'en faire vivre au lecteur la decouverte et son retentissement dans le xixe siecle finissant et la belle epoque. l'antiquite bouffonne de jacques offenbach n'est pas la seule alors a tenir la scene parisienne. victorien sardou et jules massenet creent en 1884 theodora pour sarah bernhardt, passionnee elle-meme par les collections d'art byzantin de gustave schlumberger. et lorsque la grande actrice reprit le role, en 1902, dans le theatre qui portait desormais son nom, elle demanda a theophile thomas de s'inspirer aussi des tissus d'antinoe pour dessiner les costumes du drame, comme il l'avait deja fait auparavant des mosaiques de ravenne. une nouvelle vie commencait pour sabine et ses contem-porainsÉ marie-helene rutschowscaya a bien voulu confier son ouvrage aux etudes d'egyptologie qui paraissent sous l'egide de la chaire de civilisation pharaonique du college de france. je la remercie de nous avoir fait cet honneur. cette serie beneficie desormais de l'appui des editions artheme fayard qui ont fait le pari genereux de couvrir de leur aile bienveillante et protectrice nos travaux en les publiant et en les diffusant. puissent leur directeur general, claude durand, et denis maraval, responsable de cette nouvelle cooperation, trouver ici l'expression de ma profonde reconnaissance.

nicolas grimal