Du Sahara au Nil, peintures et gravures d'avant les pharaons. Les bêtes fabuleuses des palettes prédynastiques s’animent tout à coup; les théories de chasseurs et de guerriers reprennent leur course à la poursuite d’animaux sauvages, de voisins venus empiéter sur leurs territoires ou de ceux, proches ou lointains, dont ils convoitent eux-mêmes le terroir. À moins qu’ils ne paissent négligemment, longues silhouettes filiformes, leurs troupeaux qui cherchent l’herbe rare des trous d’eau de la savane proche L’un des déserts les plus arides au monde rappelle qu’il fut peuplé jadis d’êtres qui avaient déjà fixé les lois premières de ce qui sera l’une des plus longues civilisations de la terre. Une fois réalisée la transhumance ultime vers les rives des grands fleuves qui bordent le Sahara naissant, le départ sans retour pour fuir l’aridité et gagner l’oasis permanente du Nil, les racines resteront si solides que jamais les Égyptiens ne considéreront autrement ces terres que comme leur appartenant. Tout cela se passe il n’y a pas si longtemps, après tout! Cinq à six millénaires avant que des communautés organisées, descendantes lointaines de ces premiers pasteurs, jettent sur les rives presque domestiquées du Nil les bases de la société des pharaons. Que faut-il dire devant tant de vestiges mis au jour aux confins de l’Égypte, du Soudan, de la Libye et du Tchad actuels, tant de traces qui paraissent aujourd’hui si fraîches et vers lesquelles les anciens Égyptiens retournaient au troisième millénaire av. J.-C., au prix d’une lourde infrastructure destinée à leur permettre de traverser des déserts devenus impénétrables. Les caravanes de Chéops cherchaient peut-être moins de nouvelles terres ou des partenaires ócommerciaux si précieux que fussent les œufs ód’autruche!— qu’à redécouvrir des lieux premiers. Faut-il dire que la préhistoire est bien longue ou bien accepter que l’Histoire soit plus étendue que nous le pensons? À moins que notre vision de l’Histoire doive se transformer, à l’image de ces espaces redécouverts. Car on ne peut se rendre impunément dans ces contrées, en quête d’exploits sportifs ou de belles images. C’est l’un des berceaux de notre humanité et ces lieux, aujourd’hui déserts, sont emplis d’une présence plusieurs fois millénaire qui s’empare de celui qui s’y risque et l’amène à réfléchir autant sur le passé que sur soi-même. Les auteurs de cet ouvrage n’ont pas failli à la tradition des modernes coureurs des sables; comme eux tous, ils ont allié le goôt de la découverte, qui s’impose à quiconque se risque dans le désert, à la curiosité scientifique, tous deux se fondant dans une aventure qu’ils nous font partager: à travers l’immensité du désert et les racines du temps. Non sans guider le lecteur en lui donnant tous les outils qui lui permettront de comprendre et d’apprécier ce curieux paradoxe du désert source de vie. De l’holocène inférieur, en effet, jusqu’à l’aube de la civilisation pharaonique, de puissants réseaux hydrographiques irriguent ces grandes savanes oò se côtoient éléphants, girafes, hippopotames, rhinocéros Tous animaux qui peupleront ensuite l’imaginaire des rives du cours inférieur du Nil, qu’ils n’ont, à vrai dire, pratiquement jamais fréquentées. Et tout cela pendant près de 5000 ans, soit la durée qui nous sépare, nous, des premiers pharaons! Plus que la durée même de leur histoire. Que penser d’une pièce qui serait plus courte que son óprologue? Le déséquilibre documentaire entre la civilisation du Nil et celle de ces immensités est trop grand pour que l’on puisse oser risquer une comparaison. Il n’en reste pas moins que certaines résonances sont troublantes, vraisemblablement parce que ces dernières ont gardé intact cet état premier, que les habitants des rives du Nil n’ont plus connu au quotidien, mais qui était si profondément enraciné dans leur culture qu’ils en ont fait le théâtre mythique de leurs origines. Les cohortes humaines et animales qui vont et viennent sous nos yeux sur les parois ne sont pas sans rappeler les déplacements saisonniers, cultuels ou non, qui continueront plus tard à rythmer la vie de la vallée. L’accumulation de représentations comme celles des «nageurs» ou «noyés» et des monstres qui les accompagnent nous paraît plus étrange. Mais justement, ces représentations elles-mêmes, du fait de leur regroupement en des lieux précis, oò l’on sent la présence humaine dans la durée et la répétition, semblent jouer un rôle qui va au-delà du simple témoignage. Points de rassemblement, lieux de culte associant les hommes au divin dans un langage dont nous ne percevons que les images? Les goules dévoreuses, si nombreuses, du Ouadi Sora sont-elles seulement les justicières du monde des morts ou, en même temps peut-être, les forces du chaos qui menacent les franges de l’humanité? Et ces étranges «noyés» évoquent-ils, comme le pensent les auteurs, les nenyou et autres igepyou des temps pharaoniques, humains pas encore sortis ou retournés dans les limbes? S’il en est ainsi, nous aurions là les premiers exemples de rituels propitiatoires permettant une inclusion pacifique des morts dans le monde des vivants, qui resteront l’une des bases de la cosmographie égyptienne. Cette rencontre est d’autant plus frappante qu’il y a une trentaine d’années, nous avions découvert à Dakhla, dans la capitale des gouverneurs de l’Ancien Empire, en fondation d’installations administratives de la vie dynastie, une figurine d’envoôtement, encore aujourd’hui unique en son genre. Cette petite «poupée» d’argile représente le torse d’un homme, dont on a coupé la tête, les bras et les membres inférieurs et porte une inscription à l’encre rouge, condamnant les habitants de Iam à l’état, justement, de nenyou. Or, Dakhla était à l’époque le point le plus avancé au contact de ces régions que l’on cherchait à atteindre, au prix de si lourdes expéditions, les portes du pays de Iam Et que dire des disques solaires du Ouadi Sora, que des mains humaines adorent, dans leur course ou au repos? Contemporains ou non des premiers temps de la civilisation pharaonique, ils sont, en tout cas, antérieurs à la redécouverte par Akhenaton de ce symbole premier et du contact physique de l’homme avec son créateur. Qui appartient donc à qui dans ce monde qui nous est ainsi dévoilé? Faut-il doubler la durée de la civilisation pharaonique, ou ne voir en celle-ci qu’une évolution, sublime, de ces premiers temps? Encore une fois, le déséquilibre des expressions culturelles est tel qu’une pareille question donne le vertige. Que l’on veuille bien toutefois se rappeler l’évolution des théories sur les racines de la civilisation pharaonique depuis le temps des déchiffreurs. Que dans la suite de Champollion et jusqu’aux études fondatrices de l’école allemande du début du xxe siècle, les racines sémitiques aient prévalu était dans la logique des connaissances et du développement de l’orientalisme, dont l’égyptologie continue, avec raison, de se réclamer d’abord. L’étude de la langue et des textes y est la clef indispensable pour ouvrir les champs de l’histoire et de civilisations qui se sont toujours définies elles-mêmes comme des cultures de l’écrit. Mais les études anthropologiques consacrées à l’Afrique ont apporté, dans le courant des grandes enquêtes documentaires nées du colonialisme du xixe siècle, une vision différente: une meilleure connaissance des éléments africains qui se retrouvent sur les bords du Nil, naturellement, mais aussi justement, la perception de ce déséquilibre entre des civilisations muettes, mais dont tout montre l’ampleur, et celles de l’écrit. De nos jours, le temps des passions polémiques issues de la décolonisation s’estompe et les récupérations idéologiques du dernier quart du xxe siècle ont revêtu aujourd’hui les mêmes habits que les dictatures populaires qui, souvent d’ailleurs, les inspiraient et les encourageaient. Aussi paraît-il désormais possible de jeter un regard plus paisible, en tout cas moins chargé d’intentions, sur des civilisations qui partagent un même continent et dont les hommes ont été soumis aux grands mouvements climatiques qui ont affecté les débuts de l’histoire et que l’on connaît mieux aujourd’hui. Des études comme celles qui ont été menées sur l’hominisation des grands bassins fluviaux africains, il y a une vingtaine d’années, ont mis en évidence les mouvements de populations. Nous avons ici une des toutes premières occasions de voir ces cultures, avant et au moment oò tout bascule: à la fois de découvrir un substrat et de suivre une ótransition. Dignes successeurs de Frobenius et d’Almsy, les auteurs ont su intégrer leurs recherches au travail des meilleurs spécialistes d’aujourd’hui, qui, tous, ont apporté leur contribution à cet ouvrage. Car ce livre n’est pas seulement le témoignage d’une belle aventure, une éblouissante galerie de photographies, un regard neuf jeté sur des terres encore en grande partie vierges. Il est né d’une démarche scientifique, magnifiquement servie par des choix d’expression, à travers l’image ou le texte, qui savent rendre légère et agréable une technicité qui d’ordinaire se veut volontiers tout le contraire et se fait lourde et pesante pour paraître plus sérieuse L’élégance du texte, celle du regard sont servies par une intelligence toujours sur le qui-vive, une curiosité qui n’a de cesse d’obtenir des réponses. C’est aussi ce qui fait le charme de ce très beau livre: la pureté d’une démarche, qui ne s’attache qu’à comprendre et faire partager la joie de découvertes aussi belles que considérables.

Nicolas Grimal Un désert riche de trésors oubliés

Si nous quittions, pour une fois, l’Égypte de la vallée du Nil, ses rives verdoyantes et ses villages surpeuplés, pour emprunter le chemin des oasis, tracé dans les sables du désert? Délaisser un temps les vestiges les plus connus de la civilisation pharaonique, pour partir à la recherche d’autres traces, plus ténues, plus fragiles et éphémères mais peut-être plus surprenantes encore? Les oasis* s’égrènent sur une ligne sensiblement parallèle au grand fleuve, noyées dans un vaste espace, brôlant le jour, glacé la nuit: le désert. Celui-ci semble apprivoisé, peuplé de ces «îles bienheureuses» vantées par Hérodote, riches de terres fertiles, irriguées et vertes. Le contraste bienvenu entre un Sahara désolé, minéral (fig.1-8) et ces taches de vie accueillantes étonne et rassure, mais, au-delà du chapelet des oasis, s’étend un autre désert, hyperaride, hostile, immense, vide et totalement dépeuplé (fig.2, 3). En quittant le dernier village, certains pourraient ressentir une sourde angoisse: rien à découvrir, rien à l’horizon; sables, pierres, rocs à l’infini pendant des jours, des semaines Rien! Cependant, des trésors cachés y sommeillent. Certains sont tombés du ciel, comme les météorites et les fulgurites; d’autres sont plus mystérieux, tel le verre libyque décrit par Théodore Monod1 (fig.9-10). Il en est qui demeurent enfouis dans les sédiments d’une mer qui les a abandonnés, il y a quelques millions d’années: fossiles, squelettes d’animaux marins, ammonites Des traces de présence humaine persistent également et hantent encore ce désert. Il en est de récentes: camions rouillés de la dernière guerre mondiale, bidons d’essence des explorateurs du xxe siècle, souvenirs d’Almásy, Bagnold, Clayton D’autres traces, beaucoup plus anciennes, font toujours défaut. Certaines sont entrées dans la légende. Oò sont les vestiges de l’armée de Cambyse, que l’on prétend égarée dans les sables depuis vingt-cinq siècles? Et Zarzra, l’oasis perdue, dont la recherche a motivé nombre d’explorateurs, oò se cache-t-elle? Ce n’est pas seulement son existence même, mais aussi son nom, qui ont fait couler beaucoup d’encre. L’explorateur aventurier László de Almásy évoquait le berbère izerzer «gazelle» et, plus improbablement encore, certains ont songé à faire appel au mot arabe zîr “Í— désignant une grande jarre de forme presque conique, poreuse et servant à garder l’eau2. Or, grâce aux travaux du Finlandais Armas Salonen, qui a inventorié les termes ornithologiques mentionnés dans les textes akkadiens des ive-iiie millénaires avant notre ère— la plus ancienne langue sémitique attestée— on connaît des oiseaux appelés zanziru/za-an-zi-ri (racine z-n-z-r), mot se trouvant à l’origine de l’appellation arabe des passereaux zarzr “Ó—Ó“Ë— / zurzr “Ô—Ó“Ë—, ayant aussi donné le syriaque zarzîræ et dont la motivation semble être onomatopéique3. L’oasis de Zarzôra tire donc son nom de l’abondance de cet oiseau, d’une espèce difficilement identifiable — traquet ou étourneau —, mais que les anciens Akkadiens surnommaient |UR KIRÊ «oiseau de verger4». Des témoignages bien plus lointains encore et plus émouvants car retrouvés sur le terrain, évoquent les hommes de la préhistoire, dont plusieurs millénaires nous séparent (fig.11). Depuis peu, ce territoire, désolé au point d’être désigné comme le désert le plus aride au monde, révèle des richesses insoupçonnées. Sur des terrasses à flanc de falaise ou sur les hauts plateaux des confins du désert Oriental, des traces de foyers cernés de larges pierres, protectrices du précieux feu, restent marquées sur le sol (fig.12). Des débris et du matériel de diverses périodes parsèment le désert: outils (fig.13-14), petits os, fragments d’œufs d’autruche, tessons de poteries (fig.15) De nombreux outils en silex signalent les anciens lieux de résidence ou de passage et quelques ateliers de taille jonchés d’éclats, autour d’une pierre large et accueillante, siège de l’artisan, témoignent encore d’une grande activité passée. Des molettes, posées à côté de meules dormantes, semblent attendre le retour des femmes pour le broyage des céréales. Le Sahara, gardien de vieilles civilisations, ne livre ses trésors qu’avec parcimonie. Aucune trace d’écriture très ancienne n’a été trouvée jusqu’à présent dans ces massifs montagneux, mais de nombreuses gravures et peintures décrivent le mode de vie et les préoccupations quotidiennes et rituelles des populations qui s’y établirent jadis. La qualité artistique des images — représentations d’animaux, d’hommes, de femmes et d’enfants — ne peut laisser indifférent. La signification perdue de certaines scènes hante les chercheurs, attisant curiosité et passion, aussi dévorantes que la «Bête» mythique du Gilf Kebîr.

Le Sahara, «désert» en arabe

Le Sahara s’étend sur un territoire immense, du Nil à l’Atlantique et comprend traditionnellement trois parties: occidentale, centrale et orientale. Toutes ces régions furent peuplées aux époques clémentes de la préhistoire. La partie centrale est généralement mieux connue, en France, pour des raisons historiques et notamment grâce aux travaux d’Henri Lhote, puis du fait des recherches pétrolières et de la production d’hydrocarbures. C’est d’ailleurs lors de l’exposition sur les fresques relevées dans le Tassili-n-Ajjer par ce dernier, organisée au musée des Arts décoratifs à Paris en 1957, que l’un d’entre nous eut la chance de découvrir cette documentation, sans pouvoir jamais oublier, depuis lors, une certaine nageuse aux seins sur le dos. Or le Sahara oriental, au cœur de son aridité, possède lui aussi une frise de «nageurs» — et même quelques «plongeurs» — qui évoluent au fond d’un abri. Ils doivent leur célébrité à Almásy qui les découvrit en 1930 et en fit un relevé plus esthétique que fidèle. Ces nageurs ont été rejoints, depuis, par une cohorte de nouveaux personnages de ce type, très récemment découverts dans la même région du Gilf Kebîr. À propos de cette vaste région désertique, Eugène Fromentin écrivait, en 1877, que «Sahara ne veut point dire désert. C’est le nom général d’un grand pays composé de plaines, inhabité sur certains points, mais très peuplé sur d’autres». L’écrivain orientaliste s’appuyait sur l’avis du général Daumas, selon lequel Sahara pourrait venir de saÌar, un mot désignant le moment «qui précède juste le point du jour et pendant lequel on peut, en temps de jeône, encore manger, boire et fumer». En effet, une explication traditionnelle affirme que «du nom du phénomène on avait formé celui du pays oò il était plus particulièrement apparent et l’on avait nommé Sahara le pays du saÌar 5». Mais cette étymologie est elle-même fumeuse, car elle ignore qu’en arabe, langue utilisant deux «s» différents (s et Ò), celui de Sahara n’est point celui utilisé pour «aube». Le plus grand désert du monde tire en fait son nom de l’arabe ÒaÌræ’ ’—«, qu’on traduit bien sôr par «désert» ou «Sahara», mais qui n’est autre qu’une forme substantive de l’adjectif aÒÌær «’«—, ayant le sens de «(celui) de couleur fauve», s’appliquant ici à la teinte ocre du sol. L’expression «désert du Sahara», que l’on pourrait croire un pléonasme, ne l’est donc pas. C’est par extension que le terme Sahara a désigné une «plaine hors d’une ville», c’est-à-dire, dans le contexte arabe ancien, ce que nous appelons le désert, et ceci sans référence aucune à son caractère inhabité ou non. (À lire aussi: László Almásy, p.30.)

Le Sahara oriental, région déshéritée entre Libye et Égypte

Le Sahara oriental, presque oublié jusqu’au début du xxe siècle, attira maints explorateurs et cartographes entre les deux guerres mondiales. De nos jours, les véhicules modernes et les systèmes de repérage par satellite en permettent le parcours, ouvrant la voie à d’importantes explorations et recherches. Cette région se confond en partie avec le désert dit «Libyque», connu sous diverses appellations, suscitant ainsi des confusions: en réalité, désert Occidental en Égypte et Oriental en Libye ne forment qu’une seule et même entité. Le nom même induit en erreur, car la partie nommée «désert Libyque» se situe presque entièrement en Égypte, à trois cents kilomètres de la Méditerranée, à l’ouest du Nil, bordée par la Libye et le Soudan. Cette vaste zone aride n’a pas toujours été désignée ainsi, ni même le pays voisin connu comme Lîbîæ (ͻͫ). Durant l’Ancien et le Moyen Empire égyptiens, il reçoit le nom de «pays des Tjemehou» (T”ÓmÌw). Ceux-ci sont des pasteurs semi-nomades, Tjemehou (, mÌw) ou Tjehenou (, Ìnw), représentés comme barbus à cheveux longs. Ces «Libyens» sont déjà figurés, bien souvent en mauvaise posture, sur les palettes prédynastiques, à partir des environs de 3100 avant J.C.6. Une longue tradition graphique montre en effet des pharaons combattant ou soumettant des chefs «libyens», mais bien que des actions de ce genre se soient réellement déroulées, ces images sont généralement à considérer comme des «clichés» symbolisant la puissance royale. À l’époque de Ramsès ii (1279-1213 avant J.C.), les inscriptions hiéroglyphiques mentionnent enfin une population qui paraît avoir occupé la même région que les anciens Tjemehou et Tjehenou: les Rabou (, R”bw), dont le nom fut transcrit en grec par les mots Libuvhu (Libuê) et Livbue" (Libues). Ceux-ci, attestés dès le ixe siècle avant J.C., ont donné le latin Libya, d’oò vient «Libye». Ce nom de R”bw, désignant les populations situées à l’ouest du Delta, a été rattaché à la tradition égéenne. Son étymologie est controversée et l’on a supposé que les marins égéens explorant la Méditerranée auraient établi entre les Libues à peau foncée de la côte africaine de la Méditerranée et les Ligues (d’oò vient le nom des Ligures) à peau claire de sa côte européenne, le même contraste qu’entre libros «sombre» et ligros «clair»7. Outre ces populations «libyennes» (c’est-à-dire de l’ouest et du sud-ouest) que l’on vient de citer, les Égyptiens anciens reconnaisósaient aussi les Meshwesh ( Mw), óéleveurs de bœufs de la région syrtique (connus d’Hérodote sous le nom de Mavxue" ou Maxyes) et les Isbt (appelés Asbuv(s)tai — Asbu(s)tai— par Hérodote), dont le nom survit dans celui des actuels Touaregs Isebeten. Les anciens Égyptiens, eux, attachés à la vallée du Nil et à son limon noir, nommaient leur pays «la (Terre) Noire», Km.t. Ce nom est passé en copte (khmme, khmmh, khmmi, Kême, Kêmi), puis en grec (khmia, sous la plume de Plutarque au ier siècle de notre ère) et les Arabes semblent l’avoir utilisé pour désigner la science occulte qui se développa à l’époque hellénistique: el-kîmîæ «ÍÂÍ, d’oò «alchimie» Le vieil autonyme Kêmit n’a pas survécu, car les Égyptiens actuels nomment leur pays MiÒr Â’Ó—, mot arabe dont la racine signifie «contrée, territoire»; il est déjà attesté dans les plus anciennes langues sémitiques connues par les tablettes cunéiformes (MiÒru en akkadien, MuÒur /MuÒri en assyrien) et se retrouve aussi dans l’hébreu biblique MiÒrayim, qui est une forme duelle, ayant donc le sens de «double pays»— par allusion à la Haute et à la Basse-Égypte. Le mot «Égypte» que nous utilisons est un dérivé du latin Ægyptus, lui-même transcription d’un exonyme grec, Ai[gupto" (Aiguptos), fréquent dans les poèmes homériques (ixe siècle avant J.C.) et qui, au départ, ne semble pas avoir désigné exclusivement l’Égypte, mais un domaine côtier méditerranéen oriental plus large, parfois restreint à la région du Delta et pouvant aussi désigner le Nil. L’origine du mot est discutée, mais l’ethnique a3-ku-pi-ti-jo est attesté sur une tablette de Cnossos en linéaire b (la seule écriture crétoise à avoir été déchiffrée), à la fin du xiiie siècle avant J.C.Voisin de ces domaines plus cléments, vallée du Nil et côte méditerranéenne, le Sahara oriental est un désert extrême. Des paysages aussi variés que grandioses y alternent: ergs*, regs*, karkrs*, dépressions, vallées ou oueds*, cordons de dunes, Grande mer de sable et massifs montagneux, le Gilf Kebîr et le Djebel el-Uweynæt (fig.16-19). Ils paraissent, tant la sécheresse est intense, exclure toute vie, mais il n’en a pas toujours été ainsi. Ce tableau est déjà celui de la fin du pléistocène*, il y a environ 10000 ans. Au début de la période suivante, l’holocène*, alors que les crues dramatiques du Nil sauvage avaient presque tout dévasté, le climat redevient pourtant favorable au Sahara. Voici que le désert se transforme en savane et permet le retour des populations: chasseurs, pêcheurs, cueilleurs, pasteurs Tous les types d’activités et leur combinaison redeviennent possibles: les chasseurs sont aussi cueilleurs à l’occasion et certains possèdent du bétail; les pasteurs ne dédaignent nullement la chasse et chacun peut aussi devenir pêcheur à la saison opportune, du moins quand l’environnement le permet. L’alternance de périodes humides et sèches autorise une vie nomade saisonnière, jusque vers 2500 avant notre ère. C’est alors qu’une longue aridité, toujours actuelle, s’installe, qui empêche toute vie dans la région et contraint les populations du désert à une émigration nouvelle et définitive vers le sud et la vallée du Nil.

Passeport pour la préhistoire, le désert extrême de Théodore Monod Une expédition dans le Sahara oriental nécessite une préparation matérielle importante, car elle implique une totale autonomie, tant pour les humains que pour les véhicules. Pendant un minimum d’environ trois semaines, nourriture, boissons, carburant, médicaments et pièces de rechange doivent se trouver à bord en quantité généreuse, bien que calculée. La navigation hors-piste nécessite une adaptation permanente à la variété des sols et suppose donc des moyens pour survivre et échapper aux pierres acérées ou aux sables meubles en évitant le sort des soldats de Cambyse! Une autorisation militaire, demandée très à l’avance, s’avère nécessaire pour larguer les amarres, mettre le cap sur la Grande mer de sable et voguer vers de lointains horizons. Ce ne seront alors que sables, dunes, rocs et mirages à profusion, mais sans aucun point d’eau, sans aucune possibilité de ravitaillement au cœur du désert. Nul secours à espérer, sinon de la part d’improbables chasseurs de faucons. «Rupestre», un mariage forcé avec la préhistoire «Rupestre» signifie taillé, dessiné ou peint à même le roc et désigne donc un art original, le seul à être étroitement défini par son support. En dépit des idées reçues, il ne se rattache à aucune époque, contrairement à nombre de ses suivants, l’art égyptien, grec, byzantin, ni à aucun style, fôt-il archaïque, naturaliste, schématique, sacré ou décadent. C’est à tort que l’art rupestre est toujours marié à la seule préhistoire et que son expression est populairement cantonnée aux grottes. En réalité, il est si vivant qu’il n’a jamais cessé d’accompagner l’homme, en de nombreux lieux— à vrai dire partout oò des roches étaient disponibles: dans de vraies grottes, certes, mais aussi sous de simples auvents, sur des roches isolées, le long de voies de passage, parfois à même le sol ou encore au sommet des montagnes. En outre, l’art rupestre ne désigne pas que la gravure, obtenue en frappant, percutant, creusant ou lissant la roche, mais aussi le dessin— exécuté au charbon ou crayon d’ocre — et plus souvent la peinture. Celle-ci est réalisée par l’emploi d’une teinte appliquée au doigt, à la main ou au pinceau, ou bien encore projetée sur la paroi par le souffle du peintre. Les superpositions de gravures et de peintures rupestres, si elles ne sont pas exceptionnelles, restent très délic
 
du sahara au nil, peintures et gravures d'avant les pharaons. les betes fabuleuses des palettes predynastiques s'animent tout a coup; les theories de chasseurs et de guerriers reprennent leur course a la poursuite d'animaux sauvages, de voisins venus empieter sur leurs territoires ou de ceux, proches ou lointains, dont ils convoitent eux-memes le terroir. a moins qu'ils ne paissent negligemment, longues silhouettes filiformes, leurs troupeaux qui cherchent l'herbe rare des trous d'eau de la savane proche l'un des deserts les plus arides au monde rappelle qu'il fut peuple jadis d'etres qui avaient deja fixe les lois premieres de ce qui sera l'une des plus longues civilisations de la terre. une fois realisee la transhumance ultime vers les rives des grands fleuves qui bordent le sahara naissant, le depart sans retour pour fuir l'aridite et gagner l'oasis permanente du nil, les racines resteront si solides que jamais les egyptiens ne considereront autrement ces terres que comme leur appartenant. tout cela se passe il n'y a pas si longtemps, apres tout! cinq a six millenaires avant que des communautes organisees, descendantes lointaines de ces premiers pasteurs, jettent sur les rives presque domestiquees du nil les bases de la societe des pharaons. que faut-il dire devant tant de vestiges mis au jour aux confins de l'egypte, du soudan, de la libye et du tchad actuels, tant de traces qui paraissent aujourd'hui si fraiches et vers lesquelles les anciens egyptiens retournaient au troisieme millenaire av.j.-c., au prix d'une lourde infrastructure destinee a leur permettre de traverser des deserts devenus impenetrables. les caravanes de cheops cherchaient peut-etre moins de nouvelles terres ou des partenaires ucommerciaux si precieux que fussent les oeufs ud'autruche!- qu'a redecouvrir des lieux premiers. faut-il dire que la prehistoire est bien longue ou bien accepter que l'histoire soit plus etendue que nous le pensons? a moins que notre vision de l'histoire doive se transformer, a l'image de ces espaces redecouverts. car on ne peut se rendre impunement dans ces contrees, en quete d'exploits sportifs ou de belles images. c'est l'un des berceaux de notre humanite et ces lieux, aujourd'hui deserts, sont emplis d'une presence plusieurs fois millenaire qui s'empare de celui qui s'y risque et l'amene a reflechir autant sur le passe que sur soi-meme. les auteurs de cet ouvrage n'ont pas failli a la tradition des modernes coureurs des sables; comme eux tous, ils ont allie le gout de la decouverte, qui s'impose a quiconque se risque dans le desert, a la curiosite scientifique, tous deux se fondant dans une aventure qu'ils nous font partager: a travers l'immensite du desert et les racines du temps. non sans guider le lecteur en lui donnant tous les outils qui lui permettront de comprendre et d'apprecier ce curieux paradoxe du desert source de vie. de l'holocene inferieur, en effet, jusqu'a l'aube de la civilisation pharaonique, de puissants reseaux hydrographiques irriguent ces grandes savanes ou se cotoient elephants, girafes, hippopotames, rhinoceros tous animaux qui peupleront ensuite l'imaginaire des rives du cours inferieur du nil, qu'ils n'ont, a vrai dire, pratiquement jamais frequentees. et tout cela pendant pres de 5000 ans, soit la duree qui nous separe, nous, des premiers pharaons! plus que la duree meme de leur histoire. que penser d'une piece qui serait plus courte que son uprologue? le desequilibre documentaire entre la civilisation du nil et celle de ces immensites est trop grand pour que l'on puisse oser risquer une comparaison. il n'en reste pas moins que certaines resonances sont troublantes, vraisemblablement parce que ces dernieres ont garde intact cet etat premier, que les habitants des rives du nil n'ont plus connu au quotidien, mais qui etait si profondement enracine dans leur culture qu'ils en ont fait le theatre mythique de leurs origines. les cohortes humaines et animales qui vont et viennent sous nos yeux sur les parois ne sont pas sans rappeler les deplacements saisonniers, cultuels ou non, qui continueront plus tard a rythmer la vie de la vallee. l'accumulation de representations comme celles des "nageurs" ou "noyes" et des monstres qui les accompagnent nous parait plus etrange. mais justement, ces representations elles-memes, du fait de leur regroupement en des lieux precis, ou l'on sent la presence humaine dans la duree et la repetition, semblent jouer un role qui va au-dela du simple temoignage. points de rassemblement, lieux de culte associant les hommes au divin dans un langage dont nous ne percevons que les images? les goules devoreuses, si nombreuses, du ouadi sora sont-elles seulement les justicieres du monde des morts ou, en meme temps peut-etre, les forces du chaos qui menacent les franges de l'humanite? et ces etranges "noyes" evoquent-ils, comme le pensent les auteurs, les nenyou et autres igepyou des temps pharaoniques, humains pas encore sortis ou retournes dans les limbes? s'il en est ainsi, nous aurions la les premiers exemples de rituels propitiatoires permettant une inclusion pacifique des morts dans le monde des vivants, qui resteront l'une des bases de la cosmographie egyptienne. cette rencontre est d'autant plus frappante qu'il y a une trentaine d'annees, nous avions decouvert a dakhla, dans la capitale des gouverneurs de l'ancien empire, en fondation d'installations administratives de la viedynastie, une figurine d'envoutement, encore aujourd'hui unique en son genre. cette petite "poupee" d'argile represente le torse d'un homme, dont on a coupe la tete, les bras et les membres inferieurs et porte une inscription a l'encre rouge, condamnant les habitants de iam a l'etat, justement, de nenyou. or, dakhla etait a l'epoque le point le plus avance au contact de ces regions que l'on cherchait a atteindre, au prix de si lourdes expeditions, les portes du pays de iam et que dire des disques solaires du ouadi sora, que des mains humaines adorent, dans leur course ou au repos? contemporains ou non des premiers temps de la civilisation pharaonique, ils sont, en tout cas, anterieurs a la redecouverte par akhenaton de ce symbole premier et du contact physique de l'homme avec son createur. qui appartient donc a qui dans ce monde qui nous est ainsi devoile? faut-il doubler la duree de la civilisation pharaonique, ou ne voir en celle-ci qu'une evolution, sublime, de ces premiers temps? encore une fois, le desequilibre des expressions culturelles est tel qu'une pareille question donne le vertige. que l'on veuille bien toutefois se rappeler l'evolution des theories sur les racines de la civilisation pharaonique depuis le temps des dechiffreurs. que dans la suite de champollion et jusqu'aux etudes fondatrices de l'ecole allemande du debut du xxesiecle, les racines semitiques aient prevalu etait dans la logique des connaissances et du developpement de l'orientalisme, dont l'egyptologie continue, avec raison, de se reclamer d'abord. l'etude de la langue et des textes y est la clef indispensable pour ouvrir les champs de l'histoire et de civilisations qui se sont toujours definies elles-memes comme des cultures de l'ecrit. mais les etudes anthropologiques consacrees a l'afrique ont apporte, dans le courant des grandes enquetes documentaires nees du colonialisme du xixesiecle, une vision differente: une meilleure connaissance des elements africains qui se retrouvent sur les bords du nil, naturellement, mais aussi justement, la perception de ce desequilibre entre des civilisations muettes, mais dont tout montre l'ampleur, et celles de l'ecrit. de nos jours, le temps des passions polemiques issues de la decolonisation s'estompe et les recuperations ideologiques du dernier quart du xxesiecle ont revetu aujourd'hui les memes habits que les dictatures populaires qui, souvent d'ailleurs, les inspiraient et les encourageaient. aussi parait-il desormais possible de jeter un regard plus paisible, en tout cas moins charge d'intentions, sur des civilisations qui partagent un meme continent et dont les hommes ont ete soumis aux grands mouvements climatiques qui ont affecte les debuts de l'histoire et que l'on connait mieux aujourd'hui. des etudes comme celles qui ont ete menees sur l'hominisation des grands bassins fluviaux africains, il y a une vingtaine d'annees, ont mis en evidence les mouvements de populations. nous avons ici une des toutes premieres occasions de voir ces cultures, avant et au moment ou tout bascule: a la fois de decouvrir un substrat et de suivre une utransition. dignes successeurs de frobenius et d'almsy, les auteurs ont su integrer leurs recherches au travail des meilleurs specialistes d'aujourd'hui, qui, tous, ont apporte leur contribution a cet ouvrage. car ce livre n'est pas seulement le temoignage d'une belle aventure, une eblouissante galerie de photographies, un regard neuf jete sur des terres encore en grande partie vierges. il est ne d'une demarche scientifique, magnifiquement servie par des choix d'expression, a travers l'image ou le texte, qui savent rendre legere et agreable une technicite qui d'ordinaire se veut volontiers tout le contraire et se fait lourde et pesante pour paraitre plus serieuse l'elegance du texte, celle du regard sont servies par une intelligence toujours sur le qui-vive, une curiosite qui n'a de cesse d'obtenir des reponses. c'est aussi ce qui fait le charme de ce tres beau livre: la purete d'une demarche, qui ne s'attache qu'a comprendre et faire partager la joie de decouvertes aussi belles que considerables.

nicolas grimal un desert riche de tresors oublies

si nous quittions, pour une fois, l'egypte de la vallee du nil, ses rives verdoyantes et ses villages surpeuples, pour emprunter le chemin des oasis, trace dans les sables du desert? delaisser un temps les vestiges les plus connus de la civilisation pharaonique, pour partir a la recherche d'autres traces, plus tenues, plus fragiles et ephemeres mais peut-etre plus surprenantes encore? les oasis* s'egrenent sur une ligne sensiblement parallele au grand fleuve, noyees dans un vaste espace, brulant le jour, glace la nuit: le desert. celui-ci semble apprivoise, peuple de ces "iles bienheureuses" vantees par herodote, riches de terres fertiles, irriguees et vertes. le contraste bienvenu entre un sahara desole, mineral (fig.1-8) et ces taches de vie accueillantes etonne et rassure, mais, au-dela du chapelet des oasis, s'etend un autre desert, hyperaride, hostile, immense, vide et totalement depeuple (fig.2, 3). en quittant le dernier village, certains pourraient ressentir une sourde angoisse: rien a decouvrir, rien a l'horizon; sables, pierres, rocs a l'infini pendant des jours, des semaines rien! cependant, des tresors caches y sommeillent. certains sont tombes du ciel, comme les meteorites et les fulgurites; d'autres sont plus mysterieux, tel le verre libyque decrit par theodore monod1 (fig.9-10). il en est qui demeurent enfouis dans les sediments d'une mer qui les a abandonnes, il y a quelques millions d'annees: fossiles, squelettes d'animaux marins, ammonites des traces de presence humaine persistent egalement et hantent encore ce desert. il en est de recentes: camions rouilles de la derniere guerre mondiale, bidons d'essence des explorateurs du xxesiecle, souvenirs d'almasy, bagnold, clayton d'autres traces, beaucoup plus anciennes, font toujours defaut. certaines sont entrees dans la legende. ou sont les vestiges de l'armee de cambyse, que l'on pretend egaree dans les sables depuis vingt-cinq siecles? et zarzora, l'oasis perdue, dont la recherche a motive nombre d'explorateurs, ou se cache-t-elle? ce n'est pas seulement son existence meme, mais aussi son nom, qui ont fait couler beaucoup d'encre. l'explorateur aventurier laszlo de almasy evoquait le berbere izerzer "gazelle" et, plus improbablement encore, certains ont songe a faire appel au mot arabe zir “i- designant une grande jarre de forme presque conique, poreuse et servant a garder l'eau2. or, grace aux travaux du finlandais armas salonen, qui a inventorie les termes ornithologiques mentionnes dans les textes akkadiens des ive-iiiemillenaires avant notre ere- la plus ancienne langue semitique attestee- on connait des oiseaux appeles zanziru/za-an-zi-ri (racine z-n-z-r), mot se trouvant a l'origine de l'appellation arabe des passereaux zarzor “o-u“e- / zurzor “o-u“e-, ayant aussi donne le syriaque zarzirae et dont la motivation semble etre onomatopeique3. l'oasis de zarzura tire donc son nom de l'abondance de cet oiseau, d'une espece difficilement identifiable - traquet ou etourneau -, mais que les anciens akkadiens surnommaient |ur kire "oiseau de verger4". des temoignages bien plus lointains encore et plus emouvants car retrouves sur le terrain, evoquent les hommes de la prehistoire, dont plusieurs millenaires nous separent (fig.11). depuis peu, ce territoire, desole au point d'etre designe comme le desert le plus aride au monde, revele des richesses insoupconnees. sur des terrasses a flanc de falaise ou sur les hauts plateaux des confins du desert oriental, des traces de foyers cernes de larges pierres, protectrices du precieux feu, restent marquees sur le sol (fig.12). des debris et du materiel de diverses periodes parsement le desert: outils (fig.13-14), petits os, fragments d'oeufs d'autruche, tessons de poteries (fig.15) de nombreux outils en silex signalent les anciens lieux de residence ou de passage et quelques ateliers de taille jonches d'eclats, autour d'une pierre large et accueillante, siege de l'artisan, temoignent encore d'une grande activite passee. des molettes, posees a cote de meules dormantes, semblent attendre le retour des femmes pour le broyage des cereales. le sahara, gardien de vieilles civilisations, ne livre ses tresors qu'avec parcimonie. aucune trace d'ecriture tres ancienne n'a ete trouvee jusqu'a present dans ces massifs montagneux, mais de nombreuses gravures et peintures decrivent le mode de vie et les preoccupations quotidiennes et rituelles des populations qui s'y etablirent jadis. la qualite artistique des images - representations d'animaux, d'hommes, de femmes et d'enfants - ne peut laisser indifferent. la signification perdue de certaines scenes hante les chercheurs, attisant curiosite et passion, aussi devorantes que la "bete" mythique du gilf kebir.

le sahara, "desert" en arabe

le sahara s'etend sur un territoire immense, du nil a l'atlantique et comprend traditionnellement trois parties: occidentale, centrale et orientale. toutes ces regions furent peuplees aux epoques clementes de la prehistoire. la partie centrale est generalement mieux connue, en france, pour des raisons historiques et notamment grace aux travaux d'henri lhote, puis du fait des recherches petrolieres et de la production d'hydrocarbures. c'est d'ailleurs lors de l'exposition sur les fresques relevees dans le tassili-n-ajjer par ce dernier, organisee au musee des arts decoratifs a paris en 1957, que l'un d'entre nous eut la chance de decouvrir cette documentation, sans pouvoir jamais oublier, depuis lors, une certaine nageuse aux seins sur le dos. or le sahara oriental, au coeur de son aridite, possede lui aussi une frise de "nageurs" -et meme quelques "plongeurs" -qui evoluent au fond d'un abri. ils doivent leur celebrite a almasy qui les decouvrit en 1930 et en fit un releve plus esthetique que fidele. ces nageurs ont ete rejoints, depuis, par une cohorte de nouveaux personnages de ce type, tres recemment decouverts dans la meme region du gilf kebir. a propos de cette vaste region desertique, eugene fromentin ecrivait, en 1877, que "sahara ne veut point dire desert. c'est le nom general d'un grand pays compose de plaines, inhabite sur certains points, mais tres peuple sur d'autres". l'ecrivain orientaliste s'appuyait sur l'avis du general daumas, selon lequel sahara pourrait venir de saiar, un mot designant le moment "qui precede juste le point du jour et pendant lequel on peut, en temps de jeune, encore manger, boire et fumer". en effet, une explication traditionnelle affirme que "du nom du phenomene on avait forme celui du pays ou il etait plus particulierement apparent et l'on avait nomme sahara le pays du saiar 5". mais cette etymologie est elle-meme fumeuse, car elle ignore qu'en arabe, langue utilisant deux "s" differents (s et o), celui de sahara n'est point celui utilise pour "aube". le plus grand desert du monde tire en fait son nom de l'arabe oairae' 'o-", qu'on traduit bien sur par "desert" ou "sahara", mais qui n'est autre qu'une forme substantive de l'adjectif aoiaer "'o"-, ayant le sens de "(celui) de couleur fauve", s'appliquant ici a la teinte ocre du sol. l'expression "desert du sahara", que l'on pourrait croire un pleonasme, ne l'est donc pas. c'est par extension que le terme sahara a designe une "plaine hors d'une ville", c'est-a-dire, dans le contexte arabe ancien, ce que nous appelons le desert, et ceci sans reference aucune a son caractere inhabite ou non. (a lire aussi: laszlo almasy, p.30.)

le sahara oriental, regiondesheritee entre libye et egypte

le sahara oriental, presque oublie jusqu'au debut du xxesiecle, attira maints explorateurs et cartographes entre les deux guerres mondiales. de nos jours, les vehicules modernes et les systemes de reperage par satellite en permettent le parcours, ouvrant la voie a d'importantes explorations et recherches. cette region se confond en partie avec le desert dit "libyque", connu sous diverses appellations, suscitant ainsi des confusions: en realite, desert occidental en egypte et oriental en libye ne forment qu'une seule et meme entite. le nom meme induit en erreur, car la partie nommee "desert libyque" se situe presque entierement en egypte, a trois cents kilometres de la mediterranee, a l'ouest du nil, bordee par la libye et le soudan. cette vaste zone aride n'a pas toujours ete designee ainsi, ni meme le pays voisin connu comme libiae (i"i"). durant l'ancien et le moyen empire egyptiens, il recoit le nom de "pays des tjemehou" (t”umiw). ceux-ci sont des pasteurs semi-nomades, tjemehou (, ymiw) ou tjehenou (, yinw), representes comme barbus a cheveux longs. ces "libyens" sont deja figures, bien souvent en mauvaise posture, sur les palettes predynastiques, a partir des environs de 3100 avant j.c.6. une longue tradition graphique montre en effet des pharaons combattant ou soumettant des chefs "libyens", mais bien que des actions de ce genre se soient reellement deroulees, ces images sont generalement a considerer comme des "cliches" symbolisant la puissance royale. a l'epoque de ramses ii (1279-1213 avant j.c.), les inscriptions hieroglyphiques mentionnent enfin une population qui parait avoir occupe la meme region que les anciens tjemehou et tjehenou: les rabou (, r”bw), dont le nom fut transcrit en grec par les mots libuvhu (libue) et livbue" (libues). ceux-ci, attestes des le ixesiecle avantj.c., ont donne le latin libya, d'ou vient "libye". ce nom de r”bw, designant les populations situees a l'ouest du delta, a ete rattache a la tradition egeenne. son etymologie est controversee et l'on a suppose que les marins egeens explorant la mediterranee auraient etabli entre les libues a peau foncee de la cote africaine de la mediterranee et les ligues (d'ou vient le nom des ligures) a peau claire de sa cote europeenne, le meme contraste qu'entre libros "sombre" et ligros "clair"7. outre ces populations "libyennes" (c'est-a-dire de l'ouest et du sud-ouest) que l'on vient de citer, les egyptiens anciens reconnaisusaient aussi les meshwesh ( mw), ueleveurs de boeufs de la region syrtique (connus d'herodote sous le nom de mavxue" ou maxyes) et les isbt (appeles asbuv(s)tai - asbu(s)tai- par herodote), dont le nom survit dans celui des actuels touaregs isebeten. les anciens egyptiens, eux, attaches a la vallee du nil et a son limon noir, nommaient leur pays "la (terre) noire", km.t. ce nom est passe en copte (khmme, khmmh, khmmi, keme, kemi), puis en grec (khmia, sous la plume de plutarque au iersiecle de notre ere) et les arabes semblent l'avoir utilise pour designer la science occulte qui se developpa a l'epoque hellenistique: el-kimiae "iai, d'ou "alchimie" le vieil autonyme kemit n'a pas survecu, car les egyptiens actuels nomment leur pays mior a'u-, mot arabe dont la racine signifie "contree, territoire"; il est deja atteste dans les plus anciennes langues semitiques connues par les tablettes cuneiformes (mioru en akkadien, muour /muori en assyrien) et se retrouve aussi dans l'hebreu biblique miorayim, qui est une forme duelle, ayant donc le sens de "double pays"- par allusion a la haute et a la basse-egypte. le mot "egypte" que nous utilisons est un derive du latin aegyptus, lui-meme transcription d'un exonyme grec, ai[gupto" (aiguptos), frequent dans les poemes homeriques (ixesiecle avant j.c.) et qui, au depart, ne semble pas avoir designe exclusivement l'egypte, mais un domaine cotier mediterraneen oriental plus large, parfois restreint a la region du delta et pouvant aussi designer le nil. l'origine du mot est discutee, mais l'ethnique a3-ku-pi-ti-jo est atteste sur une tablette de cnossos en lineaire b (la seule ecriture cretoise a avoir ete dechiffree), a la fin du xiiiesiecle avant j.c.voisin de ces domaines plus clements, vallee du nil et cote mediterraneenne, le sahara oriental est un desert extreme. des paysages aussi varies que grandioses y alternent: ergs*, regs*, karkors*, depressions, vallees ou oueds*, cordons de dunes, grande mer de sable et massifs montagneux, le gilf kebir et le djebel el-uweynaet (fig.16-19). ils paraissent, tant la secheresse est intense, exclure toute vie, mais il n'en a pas toujours ete ainsi. ce tableau est deja celui de la fin du pleistocene*, il y a environ 10000 ans. au debut de la periode suivante, l'holocene*, alors que les crues dramatiques du nil sauvage avaient presque tout devaste, le climat redevient pourtant favorable au sahara. voici que le desert se transforme en savane et permet le retour des populations: chasseurs, pecheurs, cueilleurs, pasteurs tous les types d'activites et leur combinaison redeviennent possibles: les chasseurs sont aussi cueilleurs a l'occasion et certains possedent du betail; les pasteurs ne dedaignent nullement la chasse et chacun peut aussi devenir pecheur a la saison opportune, du moins quand l'environnement le permet. l'alternance de periodes humides et seches autorise une vie nomade saisonniere, jusque vers 2500 avant notre ere. c'est alors qu'une longue aridite, toujours actuelle, s'installe, qui empeche toute vie dans la region et contraint les populations du desert a une emigration nouvelle et definitive vers le sud et la vallee du nil.

passeport pour la prehistoire, le desert extreme de theodore monod une expedition dans le sahara oriental necessite une preparation materielle importante, car elle implique une totale autonomie, tant pour les humains que pour les vehicules. pendant un minimum d'environ trois semaines, nourriture, boissons, carburant, medicaments et pieces de rechange doivent se trouver a bord en quantite genereuse, bien que calculee. la navigation hors-piste necessite une adaptation permanente a la variete des sols et suppose donc des moyens pour survivre et echapper aux pierres acerees ou aux sables meubles en evitant le sort des soldats de cambyse! une autorisation militaire, demandee tres a l'avance, s'avere necessaire pour larguer les amarres, mettre le cap sur la grande mer de sable et voguer vers de lointains horizons. ce ne seront alors que sables, dunes, rocs et mirages a profusion, mais sans aucun point d'eau, sans aucune possibilite de ravitaillement au coeur du desert. nul secours a esperer, sinon de la part d'improbables chasseurs de faucons. "rupestre", un mariage force avec la prehistoire "rupestre" signifie taille, dessine ou peint a meme le roc et designe donc un art original, le seul a etre etroitement defini par son support. en depit des idees recues, il ne se rattache a aucune epoque, contrairement a nombre de ses suivants, l'art egyptien, grec, byzantin, ni a aucun style, fut-il archaique, naturaliste, schematique, sacre ou decadent. c'est a tort que l'art rupestre est toujours marie a la seule prehistoire et que son expression est populairement cantonnee aux grottes. en realite, il est si vivant qu'il n'a jamais cesse d'accompagner l'homme, en de nombreux lieux- a vrai dire partout ou des roches etaient disponibles: dans de vraies grottes, certes, mais aussi sous de simples auvents, sur des roches isolees, le long de voies de passage, parfois a meme le sol ou encore au sommet des montagnes. en outre, l'art rupestre ne designe pas que la gravure, obtenue en frappant, percutant, creusant ou lissant la roche, mais aussi le dessin- execute au charbon ou crayon d'ocre - et plus souvent la peinture. celle-ci est realisee par l'emploi d'une teinte appliquee au doigt, a la main ou au pinceau, ou bien encore projetee sur la paroi par le souffle du peintre. les superpositions de gravures et de peintures rupestres, si elles ne sont pas exceptionnelles, restent tres delicates a analyser, mais particulierement interessantes pour qui veut tenter d'etablir une chronologie et une datation, encore problematiques. autre idee recue, les figures rupestres sont regulierement associees a la "naissance" de l'art, tant la question des origines demeure une enigme lancinante. mais face aux interrogations que posent des oeuvres supposees originelles, quelles reponses pouvons-nous esperer? comment savoir si des gravures ou peintures n'ont pas existe auparavant, en des temps encore plus anciens, avant de disparaitre? certaines parois presentent encore des fantomes de peinture; d'autres sont en train de sombrer, quand elles ne sont pas detruites, ce dont temoignent parfois, a leur pied, des blocs decores qui s'en sont detaches. des centaines de gravures, des milliers de peintures, ne gisent-elles pas sous ces avalanches de pierres ou sous les dunes qui montent a l'assaut des parois? l'espoir d'en decouvrirdemeure-t-il? la taphonomie (voir p.275), etude scientifique de la disparition des vestiges, evoque cette eventualite mais incite a la vigilance: la surface des parois s'altere au fil des millenaires, les roches s'erodent et diminuent de volume et plus le temps s'ecoule, plus les images rupestres de plein air risquent de disparaitre. en europe, une grande partie de l'art rupestre beneficie d'une chance inesperee: une preservation due a l'emplacement des peintures au fond de grottes fermees, abandonnees, puis scellees naturellement. bien des oeuvres ont ainsi ete protegees des intemperies, de l'erosion et meme de toute presence humaine, pendant des millenaires. l'etude des grottes ornees, dont les plus celebres sont altamira, lascaux et maintenant chauvet, decouverte en 1994, a permis de dater ces oeuvres parietalesde l'age paleolithique: respectivement 17000 et 31000 ans environ avant notre ere, au pleistocene* superieur. les dates de la grotte chauvet paraissent etonnantes au vu du style des images mais, pas plus que celles obtenues dans d'autres cavernes ornees, elles ne sauraient eclipser le fait que les artistes du paleolithique ont egalement travaille en plein air, comme le montre notamment le site de fos coa au portugal. au sahara, la protection d'une grotte est tres rarement offerte et la conservation de l'art parietal, le plus souvent de plein air, est donc aleatoire. les gravures et les peintures sont soumises a d'intenses variations climatiques, a des phenomenes de thermoclastie (eclatement des pierres provoque par des ecarts extremes de temperature en un temps tres court), a l'erosion eolienne, a la corrasion (erosion due au sable transporte par le vent) et, plus rarement, aux ruissellements des eaux. par chance, quelques abris demeurent mieux proteges que d'autres et c'est la que s'observe actuellement la majorite des oeuvres rupestres. la qualite de certaines peintures leur permet de resister aux intemperies, soit du fait d'un choix judicieux de leur emplacement, eloigne de la lumiere -au plafond d'un renfoncement par exemple-, soit grace au drape d'une dune protectrice. certaines peintures du djebel el-uweynaet, exposees en plein soleil sur des parois verticales non abritees, conservent cependant d'intenses couleurs, ce qui prouve que, parmi les recettes utilisees par les peintres, il en est qui ont pu defier les agressions atmospheriques pendant des millenaires. "rupestre", un mariage naturel avec l'art dans leur ensemble, les oeuvres rupestres ou parietales repondent a la denomination d'"art", mais il est quasi certain qu'elles n'avaient pas d'emblee la valeur que nous leur accordons aujourd'hui. comment cerner les circonstances et les objectifs qui presiderent a leur creation? la naissance de l'art? une question piege! son apparition demeure aussi impossible a dater que celle de la naissance de l'homme. l'art, contrairement a la "technique", n'evolue point par cumul du savoir. d'une certaine maniere, consciemment ou non, l'oeuvre de chaque artiste se refere toujours aux origines, quelle que soit son epoque. au terme d'une enquete sur les origines de la culture publiee en 2004, rene girard l'exprime ainsi: "dans le processus d'emergence des elements culturels, il n'existe pas de commencement absolu." a la difference de l'animal, l'homme est capable d'expression symbolique, dont l'art n'est qu'une facette. l'emergence de l'art va donc de pair avec celle de l'homme. au-dela de ces reflexions, la rencontre effective des oeuvres rupestres est toujours emouvante, car elle apporte la dimension subjective du partage des sentiments de l'artiste, l'impression de deviner parfois ses intentions: l'excitation du chasseur a la poursuite du mouflon; la fierte, l'inquietude, le bonheur du pasteur au milieu de son troupeau; la connivence entre le berger et son animal prefere; voire peut-etre la ferveur et la crainte envers un dieu enigmatique, l'hote mysterieux des roches, maitre de la pluie, de la vie