Cours: les Égyptiens et la géographie du monde

L’enquête sur les peuples étrangers représentés sur les écussons de la salle hypostyle du temple d’Amenhotep iii à Soleb a été poursuivie et terminée cette année. Cette étude paraîtra dans le volume vi de la publication du temple de Soleb, volume dédié à la mémoire de Michela Schiff-Giorgini.
Dans la série des peuples du Nord, il restait à examiner la travée des colonnes 9 à 12, c’est-à-dire la partie la plus occidentale. L’étude de la colonne N9, effectuée l’année dernière, avait montré la réalité de l’orientation géographique de la salle hypostyle. On avait, en effet, pu vérifier sur la carte le sens de progression, du Sud vers le Nord en passant par l’Ouest, de la section ouest de la colonne N9 (N9a): Pehal, Pount, Shosou, Taita (?), Arrapha. La section orientale de la même colonne (N9b) avait confirmé cette orientation: bien que deux toponymes soient perdus, la séquence conservée (Qatna, Gezer,……, Damas) suit un cheminement symétrique passant par l’Est.
Les listes de la colonne N10 sont orientées, elles, d’Est en Ouest, en passant, l’une (N10a) par le Sud, l’autre (N10b), par le Nord.
La première séquence s’ouvre sur Karkemish. Une comparaison avec la liste de peuples du temple funéraire d’Amenhotep iii à Kôm el-Hettan et avec celles de Ramsès ii à Amara montre que Karkemish joue un rôle charnière. À Soleb, en effet, Karkemish ouvre une liste, ce qui n’est le cas ni à Kôm el-Hettan, ni à Amara. À Kôm el-Hettan, Karkemish suit un toponyme aujourd’hui perdu et précède Rehob; à Amara, il suit Damas et précède Murkunash. À Soleb, il précède Assur. La position de Damas en fin de la seconde séquence de la colonne N9 à Soleb (N9b) ouvre la possibilité d’une concaténation des deux listes, celle de la colonne N9 et celle de la colonne N10, la seconde commençant là oò finit la première, c’est-à-dire donnant un détail du secteur commandé par le dernier toponyme de la première. Le fait que Murkunash ouvre la seconde section de la colonne N10 (N10b) donne du poids à cette hypothèse. La première colonne de la travée dresse une carte d’ensemble du secteur le plus occidental du Proche-Orient; les colonnes suivantes en donnent un détail qui respecte à la fois la géographie et la hiérarchie géopolitique.
La présence continue de Karkemish dans les listes jusqu’à Ramsès ii ne témoigne pas, comme on l’a affirmé souvent un peu rapidement, de la réutilisation d’une période à l’autre d’un même modèle. Tout au contraire, le fait que ces États ne soient pas toujours situés au même point dans les séquences, montre que, tout en gardant un rôle important, ils se définissent, selon les époques, en fonction des évolutions de la carte géopolitique du moment.
Le même raisonnement s’applique à Assur, qui suit Karkemish dans la liste de Soleb, et dont les parallèles d’Amara et Aksha assurent la lecture 1. Dans les listes de Ramsès ii comme dans celles d’Amenhotep iii, Assur ne vient pas en tête de la hiérarchie politique, qui reste, à Soleb, occupée par le Mitanni, comme il avait été déjà remarqué précédemment. À Aksha comme à Amara, en effet, Assur suit Byblos, qui apparaît, à Soleb en quatrième position dans la seconde liste de la colonne N10 (N10b4).
Assur est suivi de Lullu, très fragmentaire, mais lisible, qui se retrouve également, dans la même position, dans les deux listes de Ramsès ii, oò la fin de la séquence de Soleb est d’ailleurs reconduite telle quelle: Assur, Lullu, Abdadani. Ce dernier toponyme, à localiser dans la région montagneuse du nord de l’Assyrie 2, clôt la première liste de la colonne N10. Ces listes d’Amara et Aksha confirment cette localisation au nord du Zagros. Toutes deux s’accordent, en effet, pour placer, après Abdadani, mw qd, qui ouvre la première section de la colonne N11 (N11a1), et sur lequel nous reviendrons plus loin. En attendant, on peut constater que la rupture géographique entre Abdadani et mw qd confirme le report pariétal à Amara et Aksha du séquençage exprimé en trois dimensions à Soleb par le découpage des fôts de colonnes.
De même, la transition, déjà mise en évidence à Soleb, entre les colonnes d’une même travée se confirme: le dernier toponyme de N10a «ouvrant» sur le premier de N11a: Aksha et Amara ont conservé, en deux dimensions, cette transition.
Ce découpage est également confirmé, toujours grâce au parallélisme avec Aksha et Amara par le premier toponyme de la série b de la colonne N10: Murkunash, dont nous avons vu qu’il constitue à Aksha et Amara une fin de section.
Situé sur le cours supérieur du Khabour 3, Murkunash ouvre la seconde série de la colonne N10 (N10b), orientée d’Est en Ouest. Celle-ci ne comporte que quatre noms. Tyr, qui suit Murkunash, ne soulève pas de difficilutés, naturellement, et confirme l’orientation géographique de la colonne. Il est suivi par un toponyme, pour lequel on ne saurait proposer raisonnablement de localisation: ðtwk. Le dernier de la liste, en revanche, est bien connu, puisqu’il s’agit de Byblos. Dans la série de Soleb, Byblos est le dernier peuple. À Amara et Aksha, il n’en va pas de même, et la liste se poursuit avec Assur, qui précède lui-même Lullu.
Si l’on compare l’ensemble de ces données de Soleb, Kôm el-Hettan, Aksha et Amara, on obtient les séquences suivantes:

Dans la liste d’Amara, alors que les numéros 3-8 constituent une séquence géographique cohérente, on voit clairement que les deux premiers appartiennent à une série différente 4. La séquence d’Aksha conduit à la même constatation. Cette fois, la séquence précédant mrkænÒ est incomplète, puisque le toponyme qui le précède immédia-te-ment manque. Mais, avant, on trouve Damas 5. Ce qui laisse supposer, puisque le modèle de Ramsès ii dans ces deux listes est Soleb, que le principe du découpage géopolitique est reconduit, mais, probablement, «mis à jour».
La première liste de la colonne N11 (N11a) s’ouvre sur un toponyme qui a suscité et continue de susciter bien des interrogations parmi les égyptoloques: mw qd. L’expression a, pendant longtemps, été considérée comme une désignation de l’Euphrate 6. Bien que la mention de «la mer de l’eau inversée» dans le grand papyrus Harris ne désigne manifestement pas l’Euphrate. Au point que l’on a voulu y voir une désignation de la mer Rouge.
C’est à partir de cette apparente opposition, de l’impossibilité d’assimiler l’Euphrate et la mer Rouge, ainsi que de l’accumulation progressive d’attestations manifestement contradictoires, que s’est développé une sorte de discussion tournante, orchestrée dans le milieu des années 70 par les Göttinger Miszellen. Claude Vandersleyen, ensuite, reprenant la stèle de Tombos de Thoutmosis ier a proposé une lecture à la fois logique et provocante, suggérant de placer tous les mw qd en Afrique 7. Il est évident que cette position n’est pas plus tenable que son opposée. Georges Posener signalait déjà que mw qd se rencontre dans les listes de proscriptions sur les figurines d’envoôtement dans des contex-tes bien africains. À contrario, le contexte de Soleb montre également clai-re-ment que le toponyme, à Soleb, ne peut appartenir au grou-pe africain, et qu’il doit se situer, soit sur l’Euphrate, soit à l’ouest, dans une zone qui va de l’actuelle Syrie au Liban.
En fait, il eôt peut-être été tout de suite plus économique de re-marquer que lorsque les Égyp-tiens veulent expressément dési-gner l’Euphrate, ils emploi-ent une autre expression, elle aussi composée: p¼r-wr 8. Là non plus, le terme n’est pas spécifique, enco-re que l’image de ce «grand cir-cuit» convienne parfaitement à ce fleuve qui, pour un Égyptien «coule à l’envers». Le plus raisonnable paraît donc d’interpréter mw qd com-me un toponyme descriptif, évo-quant un coude de fleuve, et non pas forcément une appel-lation locale. Ce qui convient, dans notre contexte, à l’Euphrate, mais peut s’interpréter différemment ailleurs.
Le deuxième toponyme (N11a2) est perdu. Les deux toponymes suivants (N11a3:...æyw et N11a4: pæ st…) sont trop mal conservés pour que l’on puisse avancer une lecture assurée. Le dernier, en revanche, pæ iwnbl (N11a5), trouve un parallèle à nouveau dans les listes d’Amara. C’est, à -nouveau, ce parallèlisme des trois listes qui permet de proposer une restitution des toponymes manquants ou illisibles de Soleb et de vérifier, là aussi, l’organisation géographique des colonnes de la salle hypostyle:

Le premier de la liste de Soleb, mw qd, ne correspond pas au dernier de la séquence dans la seconde liste d’Amara, ni à celui de la première (iwrÌy), auquel succède Uruk, qui figure bien dans les listes de Soleb, mais sur la colonne N6. Ce qui confirme que le secteur est différent à Amara. Cette disposition en secteurs dans les deux temples, — secteurs qui procèdent de la même logique générale d’organisation —, trouve une autre confirmation dans le fait que les listes d’Amara et de Soleb sont orientés exactement en sens inverse. C’est justement cet ordre rigoureux qui a permis de restituer les toponymes perdus de Soleb.
Ce bloc commun de quatre peuples suit et précède des séries différentes. Et il est, naturellement intéressant de regarder de plus près ces articulations. C’est ainsi que pæ iwnbl est voisin de tæ Òæsw pæ wnw à Amara, c’est-à-dire que nous disposons ainsi d’un point bas au Sud: la zone couverte par les Shosou, qui est décrite sur la colonne N9 de Soleb, dont nous savons qu’elle regroupe les «têtes de chapitres». Nous y trouvons les Shosou, considérés, comme nous l’avons vu, comme les peuples situés immédiatement au nord de Pount, c’est-à-dire au nord de la péninsule arabique et jusque vers l’Iraq actuel.
Les listes d’Amara donnent donc le point d’accroche de la série N11a de Soleb, qui pourrait être un «détail» développé à partir du 3e toponyme de la série corres-pondante de N9 (N9a). En même temps, Amara donne la direction générale de la section 11a, pæ iwnbl étant au contact d’un territoire Shosou est le point le plus méridional ou occidental d’un secteur qui se développe d’Est en Ouest sur la colonne.
La tentation est donc grande de reporter cette orientation sur la carte en traçant un arc de cercle d’est en ouest, c’est-à-dire de l’Euphrate jusqu’aux limites occidentales probables du monde des Shosou.
Cette interprétation relance l’identification ici de mw qd à l’Euphrate. Le fait que le toponyme placé par la liste d’Amara à la suite d’irwÒn, iwrÌy, soit immédiatement suivi par Uruk plaide en ce sens. Malheureusement, iwrÌy n’est pas identifié. On a proposé de l’identifier à Jéricho, mais S. Horn, suivi par E. Edel a démontré l’impossibilité de cette interprétation 9. Et ce avec d’autant plus de raison que la suite de la liste d’Amara, après Uruk, donne… bbr: Babylone. Babylone appartient, à Soleb (et à Kôm el-Heitan) à une autre série, celle de la col. N6 (a2). Autant d’éléments qui plaident pour l’orientation supposée de la liste de la colonne N11a de Soleb et «l’ouverture» sur les colonnes de la travée voisine.
La seconde liste de la colonne N11 (N11b) n’apporte, malheureusement pas grand chose, puisque trois toponymes sur quatre sont perdus. Seul le deuxième de la liste présente des traces interprétables: Iqrit (iq), qui se retrouve à Aksha, à proximité d’un r(†)ny, peut-être à comprendre comme une mention du Retenou. Il s’agit probablement du moderne Iqrit, à environ 25 km au nord-est d’Akko 10. Ce que confirment les listes de Thoutmosis iii à Karnak, qui le placent toutes à la suite de Rehob 11, qui apparaît, à Soleb, sur la colonne N3.
On peut en tirer, à nouveau, deux conclusions. D’abord que nous nous trouvons à nouveau à un point d’articulation des listes, qui doit se situer, dans N11, juste avant µiqr. Ensuite, cette proximité de Rehob semble bien confirmer la zone de la Palestine comme point de départ du secteur b de la colonne N11.
La dernière colonne du secteur, déjà étudiée l’année précédente, ne fournit qu’une lecture assurée: celle du premier toponyme de la seconde section (N12b1), iwrÌy. Mais la localisation de celui-ci est trop probématique pour que l’on puisse risquer une hypothèse valable.
Au total, le bilan que l’on peut dresser du secteur nord permet toutefois de cerner les grandes lignes de l’organisation des peuples dans la salle hypostyle. Un premier niveau, géographique, décrit trois ensembles (N1, 2 et 3), dans lequel s’inscrivent les travées latérales, oò chaque colonne est, en quelque sorte une «ouverture», un détail régional. Ce niveau recoupe une réalité géopolitique, les trois ensembles premiers étant constitués d’entités politiques plus importantes que celles des travées latérales et, pour certaines, les fédérant ou les incluant en tout cas dans un système dont elles détiennent la clef. Chaque travée donne une carte de l’ensemble des secteurs, organisée dans une hiérarchie commandée par la première colonne. Chaque niveau transversal donne l’ensemble d’une zone: Hatti et Mitanni, Syrie et Palestine, Iraq et Euphrate.
Les éléments conservés des bandeaux et des tableaux des colonnes ne permettent pas de reconstituer le contexte liturgique de la liste, du moins pour ce qui est du Nord. Peut-être les inversions d’orientation liturgique (sur les colonnes) par rapport à l’orientation réelle (sur la carte) sont-elles le reflet d’un cheminement liturgique, dont témoignent les alternances d’offrandes, de «rôles» assumés par le roi. Aucune étude faite à ce jour n’a réellement traité cet aspect des représentations liturgiques. Il est dommage que l’état du monument ne permette pas cet approfondissement, qui serait certainement instructif. Il n’en reste pas moins que l’orientation correctement reconduite sur les tambours de colonnes confirme l’étonnante maîtrise cartographique, tant géographique que politique. L’évidente manipulation de la carte ainsi obtenue dans certains cas ne fait que confirmer cette maîtrise.
La grille de lecture mise en évidence à partir de la moitié nord de la salle hypostyle de Soleb a été ensuite appliquée à la moitié sud. Elle s’y est vérifiée, avec pour limite, bien entendu, que les noms des peuples du Sud ne bénéficient pas, au contraire de la géographie du Proche-Orient, d’autant d’informations extérieures aidant à leur identification.
La colonne S1 est commandée par le pays de Koush et donne, comme la colonne N1 pour le Nord les limites d’ensemble dans lesquelles la description du Sud se situe. Là aussi, trois secteurs apparaissent — oriental, central et occidental — correspondant à chacune des travées latérales, l’ensemble de cette moitié de la salle hypsotyle étant orientée, comme l’autre, géographiquement, avec de temps à autre le correctif liturgique que nous venons d’évoquer. Dernière remarque d’ensemble: l’aire géographique couverte ne dépasse guère, au sud, les limites méridionales de l’actuelle province du nord Kordofan, et reste limitée, à l’est comme à l’ouest, par les grandes pistes historiques, avec une concentration, attendue, dans la zone du fleuve.
On s’est attaché à décrire l’évolution géographique probable du royaume de Koush, à travers les études antérieures, mais aussi à la lumière des découvertes archéologiques récentes. On a ainsi pu mettre en évidence une extension constante, depuis l’étroite bande entre Bouhen et Mirgissa que décrivent les textes d’envoôtement, au sud immédiat du pays de Ouaouat des sources du Moyen Empire et de la Première période intermédiaire, jusqu’au royaume Fung des 15e-16e siècles, dont la capitale, Lamu’l se situait à environ 50 miles au sud de Sennar, et les limites nord atteignaient Dongola. Les points forts en sont, à ne pas douter, l’époque oò les rois de Napata ont dominé l’Égypte, avec un contrôle assuré, pour le moins, jusqu’à la région de Khartoum, probablement plus au sud, la frontière nord se confondant avec celle de l’Égypte. L’époque méroïtique, probablement enracinée plus au sud, au moins jusqu’à Sennar, couvrait l’ensemble du Soudan et l’essentiel de la Nubie, même au prix d’un morcellement du pouvoir intérieur, de nature fédérative si l’on en croit les sources napatéennes. Reste à évaluer l’étendue réelle du royaume au Nouvel Empire. Les vestiges mis au jour à Kerma par Charles Bonnet et son équipe laissent déjà entrevoir un État plus puissant que ne le laissent supposer les sources égyptiennes. Plus étendu probablement aussi.
Dans les listes de Soleb, la mention de Koush au tout début des peuples du Sud a une valeur, apparemment, générique. Il n’est pas facile, en effet, de faire toujours le départ, dans les très nombreuses attestations qu’en fournissent les listes, entre une valeur géographique précise, qui désignerait ce que l’on serait tenté d’appeler «le cœur politique» du «royaume» (au sens d’une aire d’influence) et la désignation de ce dernier au sens large, comme englobant les constituantes énumérées ensuite. Ce dernier sens paraît convenir à la colonne S1. Au vu du parallèle, pour le Nord, de la colonne N1. Mais aussi parce qu’une autre liste d’Amenhotep iii montre que l’on sait très bien faire la différence entre les deux acceptions, au point de les utiliser toutes deux dans une même liste à plusieurs reprises. Il s’agit du très intéressant socle du colosse Louvre A 18, qui provient de Kôm el-Hettan 12. KÒ ß¼sy y ouvre la liste, sur la face avant du socle et la clôt sur la face arrière droite, délimitant l’aire dans laquelle s’inscrivent les autres peuples cités. Il ouvre également la liste de la face latérale droite du même socle, oò il précède trrk, qui se retrouve sur la colonne S1 de Soleb en cinquième position de la seconde section (S1b5). Le même dispositif apparaît sur un autre socle de la même cour, encore inédit, mis au jour par Hourig Sourouzian 13: kÒ y précède qry sur la face latérale droite du socle 14. Qry se retrouve également à Soleb, sur la colonne S10 (S10b2).
Ces exemples confirment également que, pour le Sud comme pour le Nord, les colonnes de Soleb sont connectées les unes aux autres, selon le système «d’ouvertures» vers des sous-ensembles précédemment mis en évidence. Cette confirmation prend encore plus de poids pour la relation directe entre kÒ et qry. Que l’on veuille y voir, en effet, à la suite de Griffith, suivi par S. Sauneron et J. Yototte, le méroïtique Qêre/Qêreli (c’est-à-dire El-Kurru), ou, avec T. Säve-Söderbergh, Napata, ou encore, avec J. Vercoutter, toute la zone de la quatrième cataracte 15, la séquence des deux toponymes et leur proximité, quelle que soit l’hypothèse retenue pour qry, confirme que Koush devait recouvrir, grosso modo, la zone d’influence de Kerma, Soleb (et Saï) étant peut-être perçus comme une limite d’empire.
Revenons à la première section de la colonne S1. On y trouve les grands «peuples» traditionnels du Sud. Leur séquence est si classique au Nouvel Empire que l’on peut sans peine restituer, pour le deuxième toponyme, perdu, (S1a2), itr, très probablement associé à Soleb aussi à itrmiw qui le suit (S1a3), puis à miw (S1a4), et, enfin, à grss, qui clôt la séquence (S1a5), comme c’est le cas dans les grandes listes comme celles de Thoutmosis iii à Karnak, unanimes, tout comme celles de Ramsès ii, tant à Karnak que dans les temples d’Aksha et Amara 16. Ces deux dernières listes intercalent entre kÒy ¼st et itr irm, que Ramsès ii, après Séthi ier, ne mentionne pas dans ces listes de Karnak, qui, elles, placent kÒ ¼sy non en tête, mais après tæ-Òmê, qui annonce la liste du Sud. C’est cette organisation, quasi canonique, qui a conduit les commentateurs modernes à ne voir dans cette énumération qu’un -stéréotype 17.
En fait, La liste de Soleb n’est pas «générale», au sens oò l’entend K. Kitchen. Irm, en effet, se trouve à Soleb en S1b1, c’est-à-dire qu’il ouvre la seconde série de la colonne S1. Comme nous l’avons déjà constaté à propos des toponymes du Proche-Orient, nous sommes face à un positionnement de séquences différent: la série itr + itrmiw + miw + grss s’accroche à Soleb sur kÒ ¼sy, et à Aksha et Amara sur irm. Nous savons oò est irm dans le premier cas. Et kÒ dans le second précède irm, comme nous l’avons vu. KÒ ¼sy pourrait être une désignation générique de l’ensemble, que développent les quatre «peuples» qui le suivent.
Chacun de ceux-ci a été l’objet de nombreux commentaires et propositions d’identifica-tions 18. Si l’on s’en tient aux plus probables, la séquence décrit une progression vers le sud-est, de la région de la 3e cataracte jusque vers le sud de Kassala. Cette progression, conforme à l’orientation de la colonne dans la salle hypostyle, trouve également une certaine confirmation dans les informations qu’a apporté une enquête ethnologique sommaire effectuée en décembre 1993 auprès de nos collègues soudanais à partir des scarifications représentées sur les visages des peuples du Sud, de leur costumes et de leurs parures 19.
S’il en est bien ainsi, il convient de revoir l’interprétation que l’on donne habituellement du sens de itr, en composition ou non. Il existe, en effet, dans les listes de Touthmosis iii quatre toponymes itr différents, situés, sans distinction graphique, dans les listes du Nord ou du Sud. Manifestement, le terme désigne une réalité géographique, indépendante des contextes. Il est tentant, à cause de la séquence de S1, de penser à itrw, «fleuve» 20, plutôt que itrw = ~c~L~~ 21, bien qu’aucun des exemples n’inclue le déterminatif du canal. Nous aurions peut-être affaire, pour les toponymes méridionaux formés à l’aide d’itr à une traduction de la désignation indigèner de l’eau, — ce qui nous ramènerait à Atbarah, dont le «hinterland» pourrait être miw… La seconde section de la colonne S1 présente, en cinq noms et du nord au sud, le secteur occidental symétrique (S1b1-5): irm, ibht, ikn, srnyk, trrk. Soit, selon ce que l’on veut retenir des identifications proposées pour les deux premiers, un ensemble allant des zones aurifères de Nubie jusqu’aux confins de la 6e cataracte, en passant par la région de Mirgissa.
Les colonnes S5 et S9, censées décrire, selon la «grille» mise en évidence pour les peuples du Nord, les entités les plus importantes du Soudan central et occidental, sont hélas! très endommagées et ne livrent pas assez d’éléments pour que l’on puisse être affirmatif.

De la première série de la colonne S5, ne subsiste que le dernier toponyme (S5a4): i‡ n†k, à la lecture aussi peu assurée que l’identification, et dont la seule autre mention connue se trouve à Sesebi 22. La seconde série est mieux conservée. Les deuxième et troisième toponymes (trtr et trs), par le croisement des autres attestations qui en sont connues comme par les diverses identifications qui ont été proposées, nous conduisent aux confins de la Nubie soudano-égyptienne, ainsi que les deux derniers, tr (S5b5) et srnk (S5b5 — qui se retrouve, avec une métathèse du r et du n, notamment à Amara et Aksha) — mais avec moins de certitude.
Pratiquement tous les toponymes de la colonne S9 ont disparu, et les quelques éléments qui subistent des deux derniers de la série b ne permettent d’avancer aucune hypothèse sérieuse.
Comme précédemment pour le Nord, on s’est attaché ensuite à l’étude des travées latérales, commandée chacune par les colonnes S1, S5 et S9.
Or, sur les colonnes S2, 3 et 4, censées présenter le développement du secteur oriental, dont la globalité est donnée par S1, les noms des peuples ont été laissées intégralement… en blanc 23! Les noms des peuples seulement: les écussons sont représentés, les corps et les têtes également, pourvus de leurs ornements distinctifs. Toutefois, un examen attentif de ces derniers montre une certaine uniformité, plus grande en tout cas que dans les autres séries.
L’apparente identité des visages associée au fait que la série a été gravée mais non remplie paraît autoriser une hypothèse, importante sur le plan méthodologique: les rédacteurs de la liste décrivent un secteur qu’ils supposent peuplé, mais dont ils ne connaissent pas le nom des populations. Sans doute une démarche comparable au «blanc» des cartes géographiques à l’origine des grandes explorations africaines du xixe siècle! Il est important de constater que les «cartographes» de Soleb ont respecté la disposition générale de la carte, introduisant autant de sous-catégories que pour les autres secteurs. Il y a donc sans doute une volonté de faire entrer cette description dans la grille d’ensemble prévue, qui comporte plusisurs niveaux de détails, traduisant autant de niveaux de connaissance, tant de la géographie que de l’organisation politique du monde extérieur. Reste à savoir si cette absence de connaissance est à mettre au crédits de sociétés plus «discrètes» que celles avec lesquelles les Égyptiens traitaient au Proche-Orient, ou à la réalité d’un terrain que ceux-ci maîtrisaient mal, oò qui, plus vraisemblablement, ne présentait pas la variété et l’abondance de populations que reflétait la grille choisie. Cette dernière hypothèse paraît d’autant plus crédible que le secteur considéré — l’Est du Nil jusqu’à l’Érythrée — était, à l’évidence, bien connu des Égyptiens.
Les colonnes S 6 à 8, donnent, elles le détail de la zone «centrale». Les parallèles du socle Louvre A 18, évoqué plus haut, et des listes de Ramsès ii d’Aksha et Amara ont permis de mettre en évidence une double articulation entre les colonnes S5 et S6: trs (S5b3) étant mis, chez ceux-ci, en connexion avec iwrÒk (S6a1), et tr (S5b5) avec trbnk (S6a3) — deux «ouvertures» confirmant à nouveau les passages de niveau entre colonnes. Les identifications possibles pour les toponymes de S1 que l’on peut y ajouter confirment une zone englobant...
 
cours: les egyptiens et la geographie du monde

l'enquete sur les peuples etrangers representes sur les ecussons de la salle hypostyle du temple d'amenhotep iii a soleb a ete poursuivie et terminee cette annee. cette etude paraitra dans le volumevi de la publication du temple de soleb, volume dedie a la memoire de michela schiff-giorgini.
dans la serie des peuples du nord, il restait a examiner la travee des colonnes9 a12, c'est-a-dire la partie la plus occidentale. l'etude de la colonne n9, effectuee l'annee derniere, avait montre la realite de l'orientation geographique de la salle hypostyle. on avait, en effet, pu verifier sur la carte le sens de progression, du sud vers le nord en passant par l'ouest, de la section ouest de la colonne n9 (n9a): pehal, pount, shosou, taita (?), arrapha. la section orientale de la meme colonne (n9b) avait confirme cette orientation: bien que deux toponymes soient perdus, la sequence conservee (qatna, gezer,……, damas) suit un cheminement symetrique passant par l'est.
les listes de la colonne n10 sont orientees, elles, d'est en ouest, en passant, l'une (n10a) par le sud, l'autre (n10b), par le nord.
la premiere sequence s'ouvre sur karkemish. une comparaison avec la liste de peuples du temple funeraire d'amenhotep iii a kom el-hettan et avec celles de ramses ii a amara montre que karkemish joue un role charniere. a soleb, en effet, karkemish ouvre une liste, ce qui n'est le cas ni a kom el-hettan, ni a amara. a kom el-hettan, karkemish suit un toponyme aujourd'hui perdu et precede rehob; a amara, il suit damas et precede murkunash. a soleb, il precede assur. la position de damas en fin de la seconde sequence de la colonne n9 a soleb (n9b) ouvre la possibilite d'une concatenation des deux listes, celle de la colonne n9 et celle de la colonne n10, la seconde commencant la ou finit la premiere, c'est-a-dire donnant un detail du secteur commande par le dernier toponyme de la premiere. le fait que murkunash ouvre la seconde section de la colonne n10 (n10b) donne du poids a cette hypothese. la premiere colonne de la travee dresse une carte d'ensemble du secteur le plus occidental du proche-orient; les colonnes suivantes en donnent un detail qui respecte a la fois la geographie et la hierarchie geopolitique.
la presence continue de karkemish dans les listes jusqu'a ramses ii ne temoigne pas, comme on l'a affirme souvent un peu rapidement, de la reutilisation d'une periode a l'autre d'un meme modele. tout au contraire, le fait que ces etats ne soient pas toujours situes au meme point dans les sequences, montre que, tout en gardant un role important, ils se definissent, selon les epoques, en fonction des evolutions de la carte geopolitique du moment.
le meme raisonnement s'applique a assur, qui suit karkemish dans la liste de soleb, et dont les paralleles d'amara et aksha assurent la lecture1. dans les listes de ramses ii comme dans celles d'amenhotep iii, assur ne vient pas en tete de la hierarchie politique, qui reste, a soleb, occupee par le mitanni, comme il avait ete deja remarque precedemment. a aksha comme a amara, en effet, assur suit byblos, qui apparait, a soleb en quatrieme position dans la seconde liste de la colonne n10 (n10b4).
assur est suivi de lullu, tres fragmentaire, mais lisible, qui se retrouve egalement, dans la meme position, dans les deux listes de ramses ii, ou la fin de la sequence de soleb est d'ailleurs reconduite telle quelle: assur, lullu, abdadani. ce dernier toponyme, a localiser dans la region montagneuse du nord de l'assyrie2, clot la premiere liste de la colonne n10. ces listes d'amara et aksha confirment cette localisation au nord du zagros. toutes deux s'accordent, en effet, pour placer, apres abdadani, mw qd, qui ouvre la premiere section de la colonne n11 (n11a1), et sur lequel nous reviendrons plus loin. en attendant, on peut constater que la rupture geographique entre abdadani et mw qd confirme le report parietal a amara et aksha du sequencage exprime en trois dimensions a soleb par le decoupage des futs de colonnes.
de meme, la transition, deja mise en evidence a soleb, entre les colonnes d'une meme travee se confirme: le dernier toponyme de n10a "ouvrant" sur le premier de n11a: aksha et amara ont conserve, en deux dimensions, cette transition.
ce decoupage est egalement confirme, toujours grace au parallelisme avec aksha et amara par le premier toponyme de la serie b de la colonne n10: murkunash, dont nous avons vu qu'il constitue a aksha et amara une fin de section.
situe sur le cours superieur du khabour3, murkunash ouvre la seconde serie de la colonne n10 (n10b), orientee d'est en ouest. celle-ci ne comporte que quatre noms. tyr, qui suit murkunash, ne souleve pas de difficilutes, naturellement, et confirme l'orientation geographique de la colonne. il est suivi par un toponyme, pour lequel on ne saurait proposer raisonnablement de localisation: ðtwk. le dernier de la liste, en revanche, est bien connu, puisqu'il s'agit de byblos. dans la serie de soleb, byblos est le dernier peuple. a amara et aksha, il n'en va pas de meme, et la liste se poursuit avec assur, qui precede lui-meme lullu.
si l'on compare l'ensemble de ces donnees de soleb, kom el-hettan, aksha et amara, on obtient les sequences suivantes:

dans la liste d'amara, alors que les numeros3-8 constituent une sequence geographique coherente, on voit clairement que les deux premiers appartiennent a une serie differente4. la sequence d'aksha conduit a la meme constatation. cette fois, la sequence precedant mrkaeno est incomplete, puisque le toponyme qui le precede immedia-te-ment manque. mais, avant, on trouve damas5. ce qui laisse supposer, puisque le modele de ramses ii dans ces deux listes est soleb, que le principe du decoupage geopolitique est reconduit, mais, probablement, "mis a jour".
la premiere liste de la colonne n11 (n11a) s'ouvre sur un toponyme qui a suscite et continue de susciter bien des interrogations parmi les egyptoloques: mw qd. l'expression a, pendant longtemps, ete consideree comme une designation de l'euphrate6. bien que la mention de "la mer de l'eau inversee" dans le grand papyrus harris ne designe manifestement pas l'euphrate. au point que l'on a voulu y voir une designation de la mer rouge.
c'est a partir de cette apparente opposition, de l'impossibilite d'assimiler l'euphrate et la mer rouge, ainsi que de l'accumulation progressive d'attestations manifestement contradictoires, que s'est developpe une sorte de discussion tournante, orchestree dans le milieu des annees 70 par les gottinger miszellen. claude vandersleyen, ensuite, reprenant la stele de tombos de thoutmosis iera propose une lecture a la fois logique et provocante, suggerant de placer tous les mw qd en afrique7. il est evident que cette position n'est pas plus tenable que son opposee. georges posener signalait deja que mw qd se rencontre dans les listes de proscriptions sur les figurines d'envoutement dans des contex-tes bien africains. a contrario, le contexte de soleb montre egalement clai-re-ment que le toponyme, a soleb, ne peut appartenir au grou-pe africain, et qu'il doit se situer, soit sur l'euphrate, soit a l'ouest, dans une zone qui va de l'actuelle syrie au liban.
en fait, il eut peut-etre ete tout de suite plus economique de re-marquer que lorsque les egyp-tiens veulent expressement desi-gner l'euphrate, ils emploi-ent une autre expression, elle aussi composee: p¼r-wr8. la non plus, le terme n'est pas specifique, enco-re que l'image de ce "grand cir-cuit" convienne parfaitement a ce fleuve qui, pour un egyptien "coule a l'envers". le plus raisonnable parait donc d'interpreter mw qd com-me un toponyme descriptif, evo-quant un coude de fleuve, et non pas forcement une appel-lation locale. ce qui convient, dans notre contexte, a l'euphrate, mais peut s'interpreter differemment ailleurs.
le deuxieme toponyme (n11a2) est perdu. les deux toponymes suivants (n11a3:...aeyw et n11a4: pae st…) sont trop mal conserves pour que l'on puisse avancer une lecture assuree. le dernier, en revanche, pae iwnbl (n11a5), trouve un parallele a nouveau dans les listes d'amara. c'est, a -nouveau, ce parallelisme des trois listes qui permet de proposer une restitution des toponymes manquants ou illisibles de soleb et de verifier, la aussi, l'organisation geographique des colonnes de la salle hypostyle:

le premier de la liste de soleb, mw qd, ne correspond pas au dernier de la sequence dans la seconde liste d'amara, ni a celui de la premiere (iwriy), auquel succede uruk, qui figure bien dans les listes de soleb, mais sur la colonne n6. ce qui confirme que le secteur est different a amara. cette disposition en secteurs dans les deux temples, - secteurs qui procedent de la meme logique generale d'organisation -, trouve une autre confirmation dans le fait que les listes d'amara et de soleb sont orientes exactement en sens inverse. c'est justement cet ordre rigoureux qui a permis de restituer les toponymes perdus de soleb.
ce bloc commun de quatre peuples suit et precede des series differentes. et il est, naturellement interessant de regarder de plus pres ces articulations. c'est ainsi que pae iwnbl est voisin de tae oaesw pae wnw a amara, c'est-a-dire que nous disposons ainsi d'un point bas au sud: la zone couverte par les shosou, qui est decrite sur la colonne n9 de soleb, dont nous savons qu'elle regroupe les "tetes de chapitres". nous y trouvons les shosou, consideres, comme nous l'avons vu, comme les peuples situes immediatement au nord de pount, c'est-a-dire au nord de la peninsule arabique et jusque vers l'iraq actuel.
les listes d'amara donnent donc le point d'accroche de la serie n11a de soleb, qui pourrait etre un "detail" developpe a partir du 3e toponyme de la serie corres-pondante de n9 (n9a). en meme temps, amara donne la direction generale de la section 11a, pae iwnbl etant au contact d'un territoire shosou est le point le plus meridional ou occidental d'un secteur qui se developpe d'est en ouest sur la colonne.
la tentation est donc grande de reporter cette orientation sur la carte en tracant un arc de cercle d'est en ouest, c'est-a-dire de l'euphrate jusqu'aux limites occidentales probables du monde des shosou.
cette interpretation relance l'identification ici de mw qd a l'euphrate. le fait que le toponyme place par la liste d'amara a la suite d'irwon, iwriy, soit immediatement suivi par uruk plaide en ce sens. malheureusement, iwriy n'est pas identifie. on a propose de l'identifier a jericho, mais s.horn, suivi par e.edel a demontre l'impossibilite de cette interpretation9. et ce avec d'autant plus de raison que la suite de la liste d'amara, apres uruk, donne… bbr: babylone. babylone appartient, a soleb (et a kom el-heitan) a une autre serie, celle de la col. n6 (a2). autant d'elements qui plaident pour l'orientation supposee de la liste de la colonne n11a de solebet "l'ouverture" sur les colonnes de la travee voisine.
la seconde liste de la colonne n11 (n11b) n'apporte, malheureusement pas grand chose, puisque trois toponymes sur quatre sont perdus. seul le deuxieme de la liste presente des traces interpretables: iqrit (iq), qui se retrouve a aksha, a proximite d'un r(†)ny, peut-etre a comprendre comme une mention du retenou. il s'agit probablement du moderne iqrit, a environ 25km au nord-est d'akko10. ce que confirment les listes de thoutmosis iii a karnak, qui le placent toutes a la suite de rehob11, qui apparait, a soleb, sur la colonne n3.
on peut en tirer, a nouveau, deux conclusions. d'abord que nous nous trouvons a nouveau a un point d'articulation des listes, qui doit se situer, dans n11, juste avant µiqr. ensuite, cette proximite de rehob semble bien confirmer la zone de la palestine comme point de depart du secteur b de la colonne n11.
la derniere colonne du secteur, deja etudiee l'annee precedente, ne fournit qu'une lecture assuree: celle du premier toponyme de la seconde section (n12b1), iwriy. mais la localisation de celui-ci est trop probematique pour que l'on puisse risquer une hypothese valable.
au total, le bilan que l'on peut dresser du secteur nord permet toutefois de cerner les grandes lignes de l'organisation des peuples dans la salle hypostyle. un premier niveau, geographique, decrit trois ensembles (n1, 2 et 3), dans lequel s'inscrivent les travees laterales, ou chaque colonne est, en quelque sorte une "ouverture", un detail regional. ce niveau recoupe une realite geopolitique, les trois ensembles premiers etant constitues d'entites politiques plus importantes que celles des travees laterales et, pour certaines, les federant ou les incluant en tout cas dans un systeme dont elles detiennent la clef. chaque travee donne une carte de l'ensemble des secteurs, organisee dans une hierarchie commandee par la premiere colonne. chaque niveau transversal donne l'ensemble d'une zone: hatti et mitanni, syrie et palestine, iraq et euphrate.
les elements conserves des bandeaux et des tableaux des colonnes ne permettent pas de reconstituer le contexte liturgique de la liste, du moins pour ce qui est du nord. peut-etre les inversions d'orientation liturgique (sur les colonnes) par rapport a l'orientation reelle (sur la carte) sont-elles le reflet d'un cheminement liturgique, dont temoignent les alternances d'offrandes, de "roles" assumes par le roi. aucune etude faite a ce jour n'a reellement traite cet aspect des representations liturgiques. il est dommage que l'etat du monument ne permette pas cet approfondissement, qui serait certainement instructif. il n'en reste pas moins que l'orientation correctement reconduite sur les tambours de colonnes confirme l'etonnante maitrise cartographique, tant geographique que politique. l'evidente manipulation de la carte ainsi obtenue dans certains cas ne fait que confirmer cette maitrise.
la grille de lecture mise en evidence a partir de la moitie nord de la salle hypostyle de soleb a ete ensuite appliquee a la moitie sud. elle s'y est verifiee, avec pour limite, bien entendu, que les noms des peuples du sud ne beneficient pas, au contraire de la geographie du proche-orient, d'autant d'informations exterieures aidant a leur identification.
la colonne s1 est commandee par le pays de koush et donne, comme la colonne n1 pour le nord les limites d'ensemble dans lesquelles la description du sud se situe. la aussi, trois secteurs apparaissent - oriental, central et occidental - correspondant a chacune des travees laterales, l'ensemble de cette moitie de la salle hypsotyle etant orientee, comme l'autre, geographiquement, avec de temps a autre le correctif liturgique que nous venons d'evoquer. derniere remarque d'ensemble: l'aire geographique couverte ne depasse guere, au sud, les limites meridionales de l'actuelle province du nord kordofan, et reste limitee, a l'est comme a l'ouest, par les grandes pistes historiques, avec une concentration, attendue, dans la zone du fleuve.
on s'est attache a decrire l'evolution geographique probable du royaume de koush, a travers les etudes anterieures, mais aussi a la lumiere des decouvertes archeologiques recentes. on a ainsi pu mettre en evidence une extension constante, depuis l'etroite bande entre bouhen et mirgissa que decrivent les textes d'envoutement, au sud immediat du pays de ouaouat des sources du moyen empire et de la premiere periode intermediaire, jusqu'au royaume fung des 15e-16e siecles, dont la capitale, lamu'l se situait a environ 50 miles au sud de sennar, et les limites nord atteignaient dongola. les points forts en sont, a ne pas douter, l'epoque ou les rois de napata ont domine l'egypte, avec un controle assure, pour le moins, jusqu'a la region de khartoum, probablement plus au sud, la frontiere nord se confondant avec celle de l'egypte. l'epoque meroitique, probablement enracinee plus au sud, au moins jusqu'a sennar, couvrait l'ensemble du soudan et l'essentiel de la nubie, meme au prix d'un morcellement du pouvoir interieur, de nature federative si l'on en croit les sources napateennes. reste a evaluer l'etendue reelle du royaume au nouvel empire. les vestiges mis au jour a kerma par charles bonnet et son equipe laissent deja entrevoir un etat plus puissant que ne le laissent supposer les sources egyptiennes. plus etendu probablement aussi.
dans les listes de soleb, la mention de koush au tout debut des peuples du sud a une valeur, apparemment, generique. il n'est pas facile, en effet, de faire toujours le depart, dans les tres nombreuses attestations qu'en fournissent les listes, entre une valeur geographique precise, qui designerait ce que l'on serait tente d'appeler "le coeur politique" du "royaume" (au sens d'une aire d'influence) et la designation de ce dernier au sens large, comme englobant les constituantes enumerees ensuite. ce dernier sens parait convenir a la colonne s1. au vu du parallele, pour le nord, de la colonne n1. mais aussi parce qu'une autre liste d'amenhotep iii montre que l'on sait tres bien faire la difference entre les deux acceptions, au point de les utiliser toutes deux dans une meme liste a plusieurs reprises. il s'agit du tres interessant socle du colosse louvre a 18, qui provient de kom el-hettan12. ko ß¼sy y ouvre la liste, sur la face avant du socle et la clot sur la face arriere droite, delimitant l'aire dans laquelle s'inscrivent les autres peuples cites. il ouvre egalement la liste de la face laterale droite du meme socle, ou il precede trrk, qui se retrouve sur la colonne s1 de soleb en cinquieme position de la seconde section (s1b5). le meme dispositif apparait sur un autre socle de la meme cour, encore inedit, mis au jour par hourig sourouzian13: ko y precede qry sur la face laterale droite du socle14. qry se retrouve egalement a soleb, sur la colonne s10 (s10b2).
ces exemples confirment egalement que, pour le sud comme pour le nord, les colonnes de soleb sont connectees les unes aux autres, selon le systeme "d'ouvertures" vers des sous-ensembles precedemment mis en evidence. cette confirmation prend encore plus de poids pour la relation directe entre ko et qry. que l'on veuille y voir, en effet, a la suite de griffith, suivi par s.sauneron et j.yototte, le meroitique qere/qereli (c'est-a-dire el-kurru), ou, avec t.save-soderbergh, napata, ou encore, avec j.vercoutter, toute la zone de la quatrieme cataracte15, la sequence des deux toponymes et leur proximite, quelle que soit l'hypothese retenue pour qry, confirme que koush devait recouvrir, grosso modo, la zone d'influence de kerma, soleb (et sai) etant peut-etre percus comme une limite d'empire.
revenons a la premiere section de la colonne s1. on y trouve les grands "peuples" traditionnels du sud. leur sequence est si classique au nouvel empire que l'on peut sans peine restituer, pour le deuxieme toponyme, perdu, (s1a2), itr, tres probablement associe a soleb aussi a itrmiw qui le suit (s1a3), puis a miw (s1a4), et, enfin, a grss, qui clot la sequence (s1a5), comme c'est le cas dans les grandes listes comme celles de thoutmosis iii a karnak, unanimes, tout comme celles de ramses ii, tant a karnak que dans les temples d'aksha et amara16. ces deux dernieres listes intercalent entre koy ¼st et itr irm, que ramses ii, apres sethi ier, ne mentionne pas dans ces listes de karnak, qui, elles, placent ko ¼sy non en tete, mais apres tae-ome, qui annonce la liste du sud. c'est cette organisation, quasi canonique, qui a conduit les commentateurs modernes a ne voir dans cette enumeration qu'un -stereotype17.
en fait, la liste de soleb n'est pas "generale", au sens ou l'entend k.kitchen. irm, en effet, se trouve a soleb en s1b1, c'est-a-dire qu'il ouvre la seconde serie de la colonne s1. comme nous l'avons deja constate a propos des toponymes du proche-orient, nous sommes face a un positionnement de sequences different: la serie itr +itrmiw +miw +grss s'accroche a soleb sur ko ¼sy, et a aksha et amara sur irm. nous savons ou est irm dans le premier cas. et ko dans le secondprecede irm, comme nous l'avons vu. ko ¼sy pourrait etre une designation generique de l'ensemble, que developpent les quatre "peuples" qui le suivent.
chacun de ceux-ci a ete l'objet de nombreux commentaires et propositions d'identifica-tions18. si l'on s'en tient aux plus probables, la sequence decrit une progression vers le sud-est, de la region de la 3e cataracte jusque vers le sud de kassala. cette progression, conforme a l'orientation de la colonne dans la salle hypostyle, trouve egalement une certaine confirmation dans les informations qu'a apporte une enquete ethnologique sommaire effectuee en decembre1993 aupres de nos collegues soudanais a partir des scarifications representees sur les visages des peuples du sud, de leur costumes et de leurs parures19.
s'il en est bien ainsi, il convient de revoir l'interpretation que l'on donne habituellement du sens de itr, en composition ou non. il existe, en effet, dans les listes de touthmosis iii quatre toponymes itr differents, situes, sans distinction graphique, dans les listes du nord ou du sud. manifestement, le terme designe une realite geographique, independante des contextes. il est tentant, a cause de la sequence de s1, de penser a itrw, "fleuve" 20, plutot que itrw =~c~l~~21, bien qu'aucun des exemples n'inclue le determinatif du canal. nous aurions peut-etre affaire, pour les toponymes meridionaux formes a l'aide d'itr a une traduction de la designation indigener de l'eau, - ce qui nous ramenerait a atbarah, dont le "hinterland" pourrait etre miw… la seconde section de la colonne s1 presente, en cinq noms et du nord au sud, le secteur occidental symetrique (s1b1-5): irm, ibht, ikn, srnyk, trrk. soit, selon ce que l'on veut retenir des identifications proposees pour les deux premiers, un ensemble allant des zones auriferes de nubie jusqu'aux confins de la 6e cataracte, en passant par la region de mirgissa.
les colonnes s5 et s9, censees decrire, selon la "grille" mise en evidence pour les peuples du nord, les entites les plus importantes du soudan central et occidental, sont helas! tres endommagees et ne livrent pas assez d'elements pour que l'on puisse etre affirmatif.

de la premiere serie de la colonne s5, ne subsiste que le dernier toponyme (s5a4): i‡ n†k, a la lecture aussi peu assuree que l'identification, et dont la seule autre mention connue se trouve a sesebi22. la seconde serie est mieux conservee. les deuxieme et troisieme toponymes (trtr et trs), par le croisement des autres attestations qui en sont connues comme par les diverses identifications qui ont ete proposees, nous conduisent aux confins de la nubie soudano-egyptienne, ainsi que les deux derniers, tr (s5b5) et srnk (s5b5 - qui se retrouve, avec une metathese du r et du n, notamment a amara et aksha) - mais avec moins de certitude.
pratiquement tous les toponymes de la colonne s9 ont disparu, et les quelques elements qui subistent des deux derniers de la serie b ne permettent d'avancer aucune hypothese serieuse.
comme precedemment pour le nord, on s'est attache ensuite a l'etude des travees laterales, commandee chacune par les colonnes s1, s5 et s9.
or, sur les colonnes s2, 3 et 4, censees presenter le developpement du secteur oriental, dont la globalite est donnee par s1, les noms des peuples ont ete laissees integralement… en blanc23! les noms des peuples seulement: les ecussons sont representes, les corps et les tetes egalement, pourvus de leurs ornements distinctifs. toutefois, un examen attentif de ces derniers montre une certaine uniformite, plus grande en tout cas que dans les autres series.
l'apparente identite des visages associee au fait que la serie a ete gravee mais non remplie parait autoriser une hypothese, importante sur le plan methodologique: les redacteurs de la liste decrivent un secteur qu'ils supposent peuple, mais dont ils ne connaissent pas le nom des populations. sans doute une demarche comparable au "blanc" des cartes geographiques a l'origine des grandes explorations africaines du xixe siecle! il est important de constater que les "cartographes" de soleb ont respecte la disposition generale de la carte, introduisant autant de sous-categories que pour les autres secteurs. il y a donc sans doute une volonte de faire entrer cette description dans la grille d'ensemble prevue, qui comporte plusisurs niveaux de details, traduisant autant de niveaux de connaissance, tant de la geographie que de l'organisation politique du monde exterieur. reste a savoir si cette absence de connaissance est a mettre au credits de societes plus "discretes" que celles avec lesquelles les egyptiens traitaient au proche-orient, ou a la realite d'un terrain que ceux-ci maitrisaient mal, ou qui, plus vraisemblablement, ne presentait pas la variete et l'abondance de populations que refletait la grille choisie. cette derniere hypothese parait d'autant plus credible que le secteur considere - l'est du nil jusqu'a l'erythree - etait, a l'evidence, bien connu des egyptiens.
les colonnes s 6 a 8, donnent, elles le detail de la zone "centrale". les paralleles du socle louvre a 18, evoque plus haut, et des listes de ramses ii d'aksha et amara ont permis de mettre en evidence une double articulation entre les colonnes s5 et s6: trs (s5b3) etant mis, chez ceux-ci, en connexion avec iwrok (s6a1), et tr (s5b5) avec trbnk (s6a3) - deux "ouvertures" confirmant a nouveau les passages de niveau entre colonnes. les identifications possibles pour les toponymes de s1 que l'on peut y ajouter confirment une zone englobant l'essentiel de la haute nubie egyptienne, jusque legerement au sud de ouadi halfa, - assez comparable a celle que decrit le socle louvre a 18.
les colonnes s7 et 8 sont presque integralement perdues. les quelques vestiges qui en subsistent sont insuffisants pour que l'on puisse reconnaitre un nom. ils permettent toutefois d'affirmer que, au contraire de leurs voisines s3 et s4, ces colonnes n'ont pas ete laissees "en blanc".
la travee occidentale (s10 a 12) presente des caracteristiques assez semblables. les noms de la colonne s10 sont bien conserves et parfaitement lisibles: mtr (s10a1), ðnti (s10a2), iðnnn (s10a3), m aey (s10a4), smnrk (s10b1), qry (s10b2), mtrt (s10b3), ktt (s10b4). aucun ne peut etre localise avec certitude. une fois la part faite des diverses hypotheses qui ont emises a leur sujet et au regard des quelques paralleles que fournissent les autres listes, il parait raisonnable de voir dans la serie a de cette colonne une zone situee a l'ouest du nil et s'etendant du nord de sai jusqu'au nord de la 5e cataracte. la serie b recouvrerait alors une zone a peu pres equivalente au nord, situee a l'est du fleuve. cette derniere reconstitution est purement hypothetique.
la colonne s11 presente les memes caracteristiques que s7: presque integralement detruite, elle conserve cependant suffisamment de traces pour que l'on soit assuree qu'elle portait bien les noms de neuf peuples. la colonne s12 est perdue.
le bilan que l'on peut dresser pour les peuples du sud est plus reduit que pour le nord. si l'on fait abstraction de l'etat de conservation des colonnes, cela n'a rien pour surprendre, les deux champs, tant geographique que politique n'etant pas a la meme echelle. on constatera toutefois la validite de la grille de lecture et la volonte cartographique reelle que reflete le mode de representation adopte.

seminaire: les annales de thoutmosis iii, etude et commentaire

on a poursuivi cette annee l'etablissement du texte, tres endommage, de la campagne de l'an 23, soit l'ensemble de la section gravee sous la grande scene d'offrande royale. je me bornerai a donner ici la traduction provisoire qui a ete etablie pour l'episode de la discussion d'etat-major qui precede la marche sur megiddo (col. 18-56):
" l'an 23, 16e jour du premier mois de l'ete: arrivee a la place de yhem.
sa majeste decide (19) de tenir conseil ave [c] ses vaillantes [troupes] et leur dit: - "q [ue l] e vil [ennemi] (20) de qadesh a fait marche et est entre dans megiddo. il s'[y] trouve (21) pour l'heure. il [s'] est gagne [les chefs] de pays [qui etaient] (22) dans la mouvance de l'egypte, avec l'appui de la zone allant jusqu'au naharyna: [maryanou (?)], (23) syriens et palestiniens, avec leurs chevaux, leurs troupes [et leurs gens]. - (24) qu [']i [l] aur [ait] di [t, dit-o] n: "[je vais rester pour combattre contre sa majeste] (25) dans megiddo!" donnez-moi votre avis!" (26) ils dirent a sa majeste: "et comment pourra-ton faire marche [sur] ce chemin (27) qui va se retrecissant? on va avoir peur de lui, et (28) se dire: "les ennemis sont la, (en embuscade), sur [ce chemin], (29) de plus en plus nombreux. or, on ne saurait y faire passer [cheval apres cheval, ni homme] (30) homme, de la meme maniere. faudra-t-il donc [que l'avant de notre armee] (31) soit en train de se battre, tandis que [l'arriere sera encore ici] (32) a arouna sans se battre? et pourtant il y a d'(autres) [chemins depuis ici] (33). l'un nous [conduit sur la route au nord de] (34) taanak; l'autre [nous conduit sur] (35) la route au nord de djefti, nous donnant (tous deux) acces a megiddo. (36) notre maitre victorieux fera marche sur [la route de son] choix. (37) mais qu'il ne nous fasse pas passer sur [ce chemin impos] sible!" alors, des (38) avis [furent echanges] [parmi les troupes glorieuses de sa majeste] sur [la] situation (39) qu'elles venaient de decrire.
propos tenus au sein de l'auguste cour, - puisse-t-elle etre en vie, sante et force!: "aussi vrai que [vit pour moi] (40) et m'aime re, que me loue mon pere amon et que [mon souffle] fleurit de vie et de puissance, ma majeste marchera par [ce] chemin [d'a] (42) rouna! et si ceux d'entre vous qui le veulent font marche par [ces] (43) chemins que vous avez dit, tandis que [ceux] d'entre vous [qui le veulent] (44) vont dans la suite de ma majeste, [on] pensera alors, [parmi ces] (45) ennemis, abomination de re: "si sa majeste fait marche [par] (46)