civilisation pharaonique : archéologie, philologie et histoire année rapport d’activité 2004-2005 Cours : les Égyptiens et la géographie du monde Après avoir déterminé l’année dernière les limites de la notion de terroir égyptien et les voies d’exten-sion naturelles des premiers peuplements vers la vallée du Nil, puis, à rebours, hors de celle-ci, on s’est attaché cette année à décrire les racines historiques de l’environnement à travers lequel les Égyptiens du second millénaire avant J.-C. percevront par la suite le monde. De la première aube de la civilisation, est resté l’idée d’un territoire plus vaste que la vallée proprement dite, et dont les limites étaient les points ultimes jusqu’oò il était possible d’aller. Cette notion doit plus, naturellement, au berceau premier des savanes présahariennes 1 qu’au cours même du fleuve. Encore que l’inaccessibilité des marches septentrionales du delta ait fondé une frontière naturelle. Lacs et lagunes semi-ouverts sur la mer ne dessinaient pas encore les contours actuels de la côte égyptienne. La mer elle-même ne semblait recéler aucune forme de vie humaine identifiable : certainement parce qu’il était pratiquement impossible d’aborder par ces côtes aux contours aussi imprécis que dangereux, oò, de roselières en marécages, les eaux changeantes des branches du Nil envasaient les estuaires. Il faudra attendre le plein de la période historique pour que certaines branches du Nil puissent servir de voies de pénétration, — et encore, essentiellement dans la partie orientale du delta, une fois la branche pélusiaque stabilisée. Sans parler, naturellement, de l’ouverture sur la Méditerranée méridionale au IVe siècle avant J.-C. avec la création d’Alexandrie. Les paysages actuels de régions comme le lac Menzaleh donnent une idée — même édulcorée — de cette « fin du monde », oò eau, ciel et terre se confondent en un composé indistinct, dont la cosmographie égyptienne a fait le modèle des limites de l’univers. C’est cette proximité du Noun primordial qui fait des marécages du Nord le refuge du jeune Horus : il y grandit sous la protection d’Hathor, qui le nourrit et prend soin de lui, comme elle veillera plus tard aux intérêts égyptiens sur les autres marches du monde : le désert arabique et le Sinaï, dont les richesses minières attirent très tôt les habitants de la vallée ; plus loin aussi, et par attraction, les autres pays miniers, jusqu’aux côtes anatoliennes et aux lointaines îles de l’Égée. La limite avec l’Occident n’existe pas vraiment jusque relativement tard dans l’histoire de l’Égypte, en quelque sorte faute de partenaires, comme nous l’avons vu, au-delà du fonds culturel commun avec les populations oasiennes. Il n’en va pas de même à l’Orient, oò les contrées arides mais riches en minerais suscitent aussi l’intérêt de voisins — qui, eux, sont bien présents dans les premiers temps —, ni non plus pour le Sud. L’ambiguïté d’un socle culturel commun, ajoutée au discours pharaonique postérieur donnent l’illusion d’un Dodékashoene peu différent du Sud égyptien. Mais, une fois la barrière de la deuxième cataracte franchie, l’archéologie a montré ces dernières décennies qu’il existait un pouvoir et une culture suffisamment constitués pour générer des relations plus complexes que les témoignages égyptiens ne le laissaient croire. La fin du quatrième millénaire voit les premières tentatives d’appropriation, ou de réappropriation, des territoires limitrophes. Souvent, il n’est pas facile de savoir laquelle de ces deux démarches a été mise en œuvre. Les témoignages archéologiques ne permettent pas d’établir de différence claire entre une culture supposée dominante et sa « victime » locale. Ce que l’on a compris ces dernières années pour les oasis du désert occidental est peut-être aussi vrai de la péninsule du Sinaï et des côtes de la mer Rouge. Dans ces deux cas, en effet, on en est essentiellement réduit aux sources égyptiennes, c’est-à-dire, au moins pour les débuts de l’époque thinite, aux inscriptions royales commémoratives, que l’on interprète comme des marques de possession ou des prises de pouvoir, sans pouvoir évaluer la présence réelle du « vaincu ». Déjà figées dans l’archétype plastique du pharaon massacrant son Jean-Loïc Le Quellec, Pauline de Flers et Philippe de Flers, Peintures et gravures d’avant les pharaons. Du Sahara au Nil, Études d’égyptologie 7, Paris, 2005. ennemi, elles n’apportent d’autre élément que le nom du « vainqueur ». Définir une « politique extérieure » à partir de si maigres données relève de la gageure. On se bornera à constater que l’essentiel de cette documentation concerne les richesses minières orientales, les populations que les Égyptiens qualifient de « Libyens » n’apparaissant qu’une seule fois à la Ire dynastie, sous le règne de Djer, dont on sait qu’il atteignit également le Gebel Sheikh Soliman. Cette stratégie se poursuit tout au long des trois premières dynasties égyptiennes — même si l’on ne possède que peu de renseignements sur la deuxième —, ponctuée des mêmes monuments, auxquels s’ajoutent la pierre de Palerme et les Annales royales du Caire. Certains règnes sont mieux connus que d’autres, mais on a l’impression qu’il faut attendre les débuts de l’Ancien Empire pour voir une curiosité du monde extérieur, qui dépasse la domination ou l’exploitation des ressources des franges du royaume. Les fouilles récentes d’Abou Ballas 2 ont mis en lumière cette curiosité des anciens Égyptiens pour le monde extérieur, qui se manifeste subitement de manière très tangible à la IVedynastie : non pas, pour une fois, à travers leurs récits, mais par l’évidence archéologique. Plus de deux cents kilomètres au Sud de l’oasis de Dakhla, par exemple, un vaste dépôt de jarres fabriquées dans la région d’Assouan a été constitué, dans un site bien daté par des inscriptions royales, en particulier de Chéops et de Rêdjedef 3. Ce dépôt avait pour but de permettre à des caravanes d’ânes, de refaire de l’eau, de façon à atteindre, deux cents kilomètres plus loin, le plateau du Gilf Kebir, puis, de là sans doute Koufra. Or, la mise en valeur des oasis par les Égyptiens ne commence qu’à la VIe dynastie — pour autant que presque trente ans de fouilles sur le site de Balat et dans toute l’oasis aient permis d’en juger. De plus, les relations avec Koufra ne sont guère attestées, dès l’Ancien Empire, par ce chemin-là, mais plus au Sud, à partir de Kharga, soit par Bir Sahara ou Bir Tarfawi, puis Bir Mesaha vers l’Ouest. Enfin, vers l’Ouest, à part le Gilf Kebir lui-même, les Égyptiens ne pouvaient guère espérer de débouchés commerciaux. Les nombreux autres dépôts de jarres à eau trouvés dans toute la zone, ainsi que les graffiti et représentations rupestres qui les accompagnent marquent une fréquentation importante de cette zone, que la seule quête des pigments naturels ne saurait expliquer 4 . Faut-il en déduire que les anciens Égyptiens avaient encore le souvenir de cette partie de leurs origines et conservaient donc des contacts que ne justifiait aucune raison purement économique ? La mainmise sur les oasis, qui intervient quelques générations plus tard, serait alors à interpréter dans le fil de cette première appartenance géographique. Contrairement à l’attente des premiers fouilleurs de Dakhla, en effet, aucune trace de commerce extérieur avec l’Afrique n’est apparue dans les installations égyptiennes comme celle de Balat, qui ont livré pourtant une documentation abondante. Les seules relations économiques extérieures à l’oasis se développent avec la vallée du Nil, dans un mouvement d’échange qui semble poursuivre le dialogue des premiers temps. Le même schéma se dessine d’ailleurs plus au Sud : les relations avec l’oasis de Kharga — pour laquelle les traces d’implantation égyptienne sont pour l’instant assez ténues pour l’Ancien Empire — se font avec la vallée : via Dakhla et le Darb et-tawil en direction de la Moyenne Égypte, la piste d’Edfou pour la Haute Égypte, ou la piste des Quarante jours pour la Nubie soudanaise. La circulation se fait, pour ainsi dire, de façon interne entre les zones de peuplements anciens du désert occidental, réduites aux seules oasis, et la vallée, dont les habitants continuent ainsi d’exploiter leur ancien terroir. Cette réappropriation du désert occidental et de la Basse Nubie tend à faire des régions ainsi mises sous contrôle égyptien les nouvelles marches du royaume. C’est ainsi que ces implantations sont placées sous la tutelle de divinités spécifiques, comme 2 Rudolph Kuper, « The Abu Ballas Trail: Pharaonic Advances into the Libyan Desert », dans Zahi Hawass et Lyla Pinch Brock (éd.), Egyptology at the Dawn of the Twenty-first Century. Proceedings of the Eighth International Congress of Egyptologists (2000), 2 History, p. 372-376 ; Rudolph Kuper, « Les marches occidentales de l’Égypte : dernières nouvelles », BSFE 158 (2003), p. 12-34. 3 Voir les photographies et la présentation du site dans J.-L. Le Quellec, P. de Flers et P. de Flers, op.cit, p. 43. 4 Cet intérêt ne s’était toujours pas démenti à la VIedynastie : Rudolph Kuper, « The Abu Ballas Trail : Pharaonic Advances into the Libyan Desert », dans Zahi Hawass et Lyla Pinch Brock (éd.), Egyptology at the Dawn of the Twenty-first Century. Proceedings of the Eighth International Congress of Egyptologists (2000), 2 History, p. 373. Igaï à Dakhla 5 ou Seth-Panthée à Kharga 6, et censées marquer une frontière : pacifique, comme semble l’indiquer une figurine d’envoôtement découverte sur le site urbain d’Ayn Asil à Dakhla 7, militaire en Nubie avec la chaîne de forts qui apparaîtra au début du deuxième millénaire avant J.-C. Quoi qu’il en soit des raisons profondes qui la motivent, on constate, à travers cette exploration des pistes occidentales, une curiosité et un souci d’investigation des régions lointaines directement au niveau de l’État. Au-delà des objectifs institutionnels et économiques de ces recherches, on note tout au long de l’Ancien Empire, dans les monuments officiels comme dans la tradition littéraire, une curiosité affichée des souverains pour l’exotisme de la faune et de la flore des régions éloignées. Il semble que l’avènement de la Ve dynastie, dans le mouvement d’une théologie solaire plus développée, voire renouvelée, ait consacré cette nouvelle ouverture au monde. On pense aux reliefs funéraires royaux d’Abousir : ceux d’Ouserkaf, les scènes des expéditions au Levant de Sahourê, la « Weltkammer » de Niouserrê, lointain ancêtre et peut-être modèle du jardin Botanique de Thoutmosis III à Karnak ou de l’expédition vers Pount de la reine Hatshepsout à Deir el-Bahari, É Mais il faut y ajouter les autobiographies de particuliers, qui, comme la tradition romanesque alors naissante, font la part belle à l’exotisme et au picaresque. Certains éléments laissent entrevoir l’aspect systématique de ces explorations. Le fait d’abord que, — sous réserve que les prospections archéologiques modernes aient couvert l’essentiel des zones minières du désert oriental et permettent donc de proposer une évaluation de celles-ci —, les anciens Égyptiens avaient localisé dès les époques les plus anciennes les ressources minières de la chaîne arabique. Localisé et exploité. D’autres indices laissent supposer, au-delà de la systématisation des explorations, une méthodologie très évoluée. On a découvert, en particulier, dans le désert oriental des gravures rupestres d’un type unique : des circuits d’une certaine ampleur, incisés sur la pierre, et qui ne ressemblent à rien de connu, É sauf à la cartographie des principaux ouadis de la zone 8 ! Si ces documents sont ce qu’ils ont l’air d’être, à savoir des cartes, ils sont à rapprocher des relevés topographiques qui nous sont parvenus sur d’autres documents, comme le plan des mines d’or de Turin ou celui de la tombe de Ramsès IV, mais aussi, et surtout, de la cartographie des listes de peuples étrangers, depuis les premières listes jusqu’à des documents comme la statue de Darius découverte à Suze 9 . Du côté oriental, le Sinaï paraît être une terre partagée depuis les premiers temps. Partagée ou exploitée alternativement, du moins pour ce qui est des régions minières 10 . L’archéologie montre que, dès le Maadien ancien, c’est-à-dire dans la première moitié du quatrième millénaire avant J.-C., les Égyptiens avaient pris la mesure des territoires du Nord du Sinaï, pour s’y implanter dès Nagada IIa-b : avant même la constitution de l’État pharaonique 11 . Ces installations sont durables et massives pendant toute la période thinite dans tout le Sud-Ouest de la Palestine. Les fouilles de Gaza ont ainsi montré que le site de Tell es-Sakan était, à l’origine — c’est-à-dire dans le dernier quart du quatrième millénaire avant J.-C. —, égyptien 12 . Il en va de même du niveau III de En Besor, à 25 kilomètres au 5 Déjà présent sur l’inscription de Rêdjedef d’Abou Ballas : voir en dernier lieu J.-L. Le Quellec, P. de Flers et P. de Flers,op.cit, p. 40 et 45.6 Dont une représentation spectaculaire orne la façade du pronaos du temple d’Hibis.5 Seule mention hostile connue à ce jour : Nicolas Grimal, « Les “noyés” de Balat », dans Mélanges offerts à Jean Vercoutter,1985, p. 111-121.8 David Rohl, The Followers of Horus. Eastern desert Survey Report, 1, Isis, Oxon, 2000.9 Monique Kervran, David Stronach, François Vallat et Jean Yoyotte, « Une statue de Darius découverte à Suse », JournalAsiatique (1972), p. 235-266.10 Nicolas Grimal, « Civilisation pharaonique: archéologie, philologie, histoire », Annuaire du Collège de France 2003-2004(2004), p. 801 sq.11 Pierre de Miroschedji, « Les Égyptiens au Sinaï du nord et en Palestine au Bronze ancien », dans Dominique Valbelle etCharles Bonnet (éd.), Le Sinaï durant l’Antiquité et le Moyen Âge. 4000 ans d’histoire pour un désert (1997), p. 20-32.12 Pierre de Miroschedji, « Tell es-Sakan, un site du Bronze ancien découvert dans la région de Gaza », CRAIBL 2000(2000), p. 125-152 ; Pierre de Miroschedji, « La Palestine, Gaza et l’Égypte au Bronze ancien », dans J.-B. Humbert (dir.),Gaza méditerranéenne. Histoire et archéologie en Palestine, 2000, p.101-104. Sud de Tell es-Sakan, tandis que plus d’une dizaine d’autres sites du Sud palestinien témoignent d’une présence égyptienne, moins massive, mais importante. Les Égyptiens laissent la place aux Cananéens, probablement au cours de la période thinite, sans qu’il soit encore aujourd’hui possible d’en déterminer avec précision la date. Ce retrait correspond manifestement au développement de la civilisation urbaine en Palestine, qui voit des cités comme Tell Yarmouth et Beth Shemesh jouer un rôle régional de premier plan 13 . Encore qu’il soit probablement faux de parler de développement de la civilisation urbaine, dans la mesure oò d’autres sites, comme Hartuv 14 , de nature comparable, ont précédé Tell Yarmouth : il s’agit plus de déplacements de groupes humains vers de nouveaux sites que d’une apparition à proprement parler. Quoi qu’il en soit, ces mouvements témoignent d’un changement de société à la fin du Chalcolithique, à peu près contemporains de ceux de la vallée du Nil et d’Uruk en Mésopotamie : le début du Bronze ancien. Ces cités-États de Canaan, en compétition les unes avec les autres durant le Bronze ancien II et III, entretiennent des relations avec l’Égypte sur un mode qui change, lui aussi, suivant l’évolu-tion du jeu politique régional. Les témoins archéologiques traduisent cette évolution tout au long de l’époque thinite et de l’Ancien Empire égyptien, bien souvent d’une manière plus fiable que la documentation d’Égypte proprement dite. Celle-ci, comme nous l’avons vu l’année dernière, restitue la réalité à travers un codage, qui — bien qu’il nous soit aujourd’hui relativement perceptible — ne donne qu’un éclairage partiel. Si les annales de la Pierre de Palerme, par exemple, fournissent des éléments quantitatifs et une attestation de relations, elle ne permettent guère d’aller au-delà de ce constat. À côté d’objets attestant de la nature des relations commerciales avec les pays étrangers, comme la hache datant du règne de Chéops trouvée à Nahr Ibrahim 15 , on voit apparaître des documents directement en relation avec la chancellerie royale égyptienne. Ce sont les émissions jubilaires commémoratives, essentiellement, à l’Ancien Empire, sous forme de vases, de disques ou de coupes, gravés au nom du pharaon. Les vases sont principalement de deux types. Le premier, en pierre dure, thériomorphe, représente une guenon serrant contre son ventre son petit ou décorant, seule, l’extérieur d’un calice de calcite 16 ; le second, plus répandu, est un vase tronconique en calcite, sur lequel est gravée une inscription commémorant le jubilée royal. La nature des relations que traduit l’envoi par la Cour d’Égypte de ces objets aux dirigeants des cités-États du Levant n’est pas si facile à déterminer. Le fait que les gouverneurs des provinces de la vallée du Nil et des oasis aient bénéficié des mêmes présents laisserait supposer, en effet, que ceux-ci traduisent un lien de vassalité, ou, en tout cas, une quelconque allégeance. D’un autre côté, ces objets feront partie plus tard des envois diplomatiques aux rois et princes du Proche-Orient, dont on sait par ailleurs qu’ils n’étaient en rien vassaux de l’Égypte. Il paraît donc raisonnable de considérer que ces présents sont à interpréter comme des signes de relations pacifiques, sans qu’il soit possible d’approfondir la nature de celles-ci. On se bornera à constater leur fréquence plus ou moins grande selon les cités. L’exemple le plus frappant en est Byblos, oò pratiquement tous les rois de l’Ancien Empire sont représentés par de nombreux vases ou fragments de vases, de la IIe à la VIe dynastie : Khâsekhemoui, Neferirkarê-Kakaï, Niouserrê, Menkaouhor, Djedkarê-Izezi, Ounas, Teti, Pepy Ier, Merenrê, Pepy II 17 , 13 Pierre de Miroschedji, « Yarmuth. The Dawn of City-states in Southern Canaan », Near Eastern Archaeology 62:1 (1999), p. 1-19.14 Pierre de Miroschedji, Amihai Mazar et Naomi Porat, « Hartuv, an Aspect of the Early Bronze I Culture in SouthernIsrael », BASOR 302 (1996), p. 27-30.15 Aujourd’hui conservée à l’Institut biblique pontifical de Jérusalem (PM VII 386), cette hache est au nom de l’équipagedu roi.16 Cf. M. Valloggia, « Deux objets thériomorphes découverts dans le Mastaba V de Balat », dans Le Livre du Centenaire, Mifao 104, Le Caire, 1980, p. 143-151 ; Id., « Une coupe à décor thériomorphe provenant de Balat », Bifao 93 (1993), p. 391402 et pl. I-IV. 17 PM VII 386 ; 388 ; 390-391. etc. Cette abondance démontre l’étroitesse des liens qui unissent, dès les premiers temps 18 , les princes de Byblos à l’Égypte, dont on sait qu’ils iront, à partir du deuxième millénaire avant J.-C., jusqu’à adopter de nombreux traits de la civilisation pharaonique. Elle permet aussi d’interpréter un autre type de document royal égyptien, relativement répandu hors d’Égypte dès l’époque thinite : les sceaux-cylindres, qui y sont également attestés, associés, par exemple à Khephren et Sahourê 20 . La mobilité de ces petits objets, souvent découverts hors contexte archéologique, les rend, en effet, prfois suspects aux yeux des historiens. Car il est particulièrement difficile d’en établir l’usage réel, et il est évident que, bien souvent, ils ne proviennent pas d’une représentation officielle égyptienne en place sur les lieux de leur découverte. Leur présence à Byblos, oò ils côtoient des monuments royaux indiscutables 20 , va, naturellement dans le sens d’une représentation administrative et/ou politique réelle. Si le cas de Byblos est indiscutable, la présence d’objets égyptiens, voire d’un contexte égyptien complet n’est pas une preuve absolue de relations diplomatiques ou commerciales étroites. Que penser, en effet, de la découverte à Dorak, sur la côte sud de la mer de Marmara, de restes d’un trône en bois recouvert de feuilles d’or portant le cartouche de Sahourê 21 ? Cet objet provient de la tombe d’un prince de la culture de Yortan (2700-2500 avant J.-C.), qui lui est contemporaine. Pour indiscutable que soit le contexte archéologique, cette découverte reste isolée, et ne saurait témoigner de l’importance de relations, que rien ne vient attester par ailleurs. Un autre type de témoin archéologique relève d’une problématique comparable à celle des sceaux-cylindres. Ce sont les scarabées, égyptiens en général, royaux en particulier, qui, comme tout petit matériel, sont susceptibles de voyager sur de longues distances et de se retrouver hors contexte. Dans leur cas, la présence d’un témoin unique n’a guère de valeur, sauf si le contexte stratigraphique est chronologiquement cohérent, ou si une accumulation important, liée à une stratigraphie vérifiable, assure la datation. La question se pose, au moins pour ce qui est de l’Ancien Empire, tout particulièrement pour Chypre et Rhodes. De nombreux scarabées, datés de Khephren, Mykerinus et Ounas ont été trouvés sur plusieurs sites chypriotes : Hagia Irini, Dali, Enkomi, Marion, Amathonte, Hala Sultan, Limassol. Dans le cas de Chypre, même si le contexte archéologique est souvent imprécis, le nombre des trouvailles rend crédibles des relations, dont on sait par ailleurs qu’elles vont se développer dès le début du deuxième millénaire avant J.-C. En revanche, la tête d’Ancien Empire trouvée à Athènes ou le disque de pierre portant le nom du temple solaire d’Ouserkaf découvert à Cythère 22 ne sauraient être des témoins valables. Probablement dans le cas de la première, à peu près certainement pour le second, il s’agit de « curiosités » rapportées d’Égypte plus tardivement par des voyageurs. L’ensemble de la documentation dont nous disposons, d’Égypte comme de l’extérieur, montre donc, pour l’Ancien Empire, une expansion logique vers le Sud-Ouest palestinien, qui fléchit dans le dernier quart du troisième millénaire avant J.-C., en même temps que s’effondre la première civilisation urbaine de Palestine. À partir des bases constituées dès les premières dynasties dans la zone de Gaza, les Égyptiens développent des relations à plus longue distance, grâce à l’accès à la façade maritime qu’ils se ménagent ainsi. C’est vraisemblablement l’une des raisons du grand déséquilibre documentaire que l’on constate en faveur de Byblos, au détriment des terres de l’intérieur de la Palestine. Byblos est clairement l’objet d’une politique d’État, dont témoigne l’abondante documentation « diplomatique » évoquée plus haut. Les Égyptiens eux-mêmes en donnent la raison la plus évidente : la quête de matières premières dont ils ne disposent pas chez eux. Principalement le bois des pins et des cèdres, qui sont aujourd’hui l’emblème du Liban. C’est cette exploitation de l’arrière-pays libanais qui est toujours mise en avant et abondamment illustrée dans la documentation égyptienne, autant qu’attestée par l’archéologie, comme en témoignent, entre autres, les barques funéraires royales de la IVe dynastie. 18 On pense, par exemple, à la palette Louvre AO 1591. 19 PM VII 390. 20 Par exemple le relief de la VIe dynastie, aujourd’hui conservé au Louvre (AO 4811), représentant un roi embrassé parune déesse.21 J. Leclant, Or 30, p. 397 ; 31, p. 337 ; 32, p. 211.22 PM VII 401 et 403. Au-delà de cet apport premier, Byblos servait déjà, à l’évidence, de relais vers le monde méditerranéen, surtout vers les régions minières, oò les Égyptiens pouvaient se procurer les minerais qui s’épuisaient dans le désert oriental et le Sinaï. Les fouilles menées dans les exploitations minières de ces régions mettent, en effet, toutes en évidence une exploitation intense dès la période thinite et tout au long de l’Ancien Empire. Pour certains sites même, comme celui de Ayn Sokhna, les recherches conduites par Pierre Tallet avec l’Institut français d’Archéologie orientale permettent de suivre la transformation de l’installation minière originelle en base avancée pour des expéditions plus lointaines 23 . L’implantation des techniques métalliques en Égypte remonte, en effet, aux premières dynasties, mais on voit clairement, à travers la documentation, un développement important, surtout à partir de la VIe dynastie. En témoignent des œuvres majeures, comme les statues royales de Pepy Ier et de Merenrê, ou la tête de faucon d’Hierakonpolis, mais aussi l’abondance d’objets en cuivre dans tout le pays. Il fallait donc aller plus loin, et Byblos ouvrait l’accès vers Chypre et l’Asie mineure. Dans le même temps, le Levant est déjà un terrain de rencontre avec les grandes civilisations contemporaines, qui s’ouvrent, elles aussi, au monde. En Mésopotamie, le troisième millénaire voit la première période dynastique, qui, elle-même, fait suite à la période de Jemdet-Nasr qui l’a ouvert. Jemdet-Nasr était déjà l’héritière d’Uruk, qui a presque entièrement couvert la seconde moitié du quatrième millénaire. Autant de grands ensembles, qui commencent à communiquer réellement entre eux dans le troisième millénaire finissant. Les échanges deviendront plus consistants et continus au début du deuxième millénaire, en même temps que se développeront les cités marchandes de la Syrie du Nord, dont le rôle d’intermédiaires ne se démentira jamais par la suite. Une zone reste toutefois en grande partie mystérieuse : la Méditerranée orientale. On constate que Chypre est déjà terra cognita, ce qui se comprend bien, étant donné sa proximité depuis Byblos et sa richesse minière. De même, grâce plus aux travaux de Manfred Bietak à Tell ed-Dabb’a qu’à la dispersion des témoins égyptiens qui y ont été relevés, on sent que les contacts avec le monde égéen, surtout la Crè
 
civilisation pharaonique: archeologie, philologie et histoire annee rapport d'activite 2004-2005 cours: les egyptiens et la geographie du monde apres avoir determine l'annee derniere les limites de la notion de terroir egyptien et les voies d'exten-sion naturelles des premiers peuplements vers la vallee du nil, puis, a rebours, hors de celle-ci, on s'est attache cette annee a decrire les racines historiques de l'environnement a travers lequel les egyptiens du second millenaire avant j.-c. percevront par la suite le monde. de la premiere aube de la civilisation, est reste l'idee d'un territoire plus vaste que la vallee proprement dite, et dont les limites etaient les points ultimes jusqu'ou il etait possible d'aller. cette notion doit plus, naturellement, au berceau premier des savanes presahariennes 1 qu'au cours meme du fleuve. encore que l'inaccessibilite des marches septentrionales du delta ait fonde une frontiere naturelle. lacs et lagunes semi-ouverts sur la mer ne dessinaient pas encore les contours actuels de la cote egyptienne. la mer elle-meme ne semblait receler aucune forme de vie humaine identifiable: certainement parce qu'il etait pratiquement impossible d'aborder par ces cotes aux contours aussi imprecis que dangereux, ou, de roselieres en marecages, les eaux changeantes des branches du nil envasaient les estuaires. il faudra attendre le plein de la periode historique pour que certaines branches du nil puissent servir de voies de penetration, - et encore, essentiellement dans la partie orientale du delta, une fois la branche pelusiaque stabilisee. sans parler, naturellement, de l'ouverture sur la mediterranee meridionale au ive siecle avant j.-c. avec la creation d'alexandrie. les paysages actuels de regions comme le lac menzaleh donnent une idee - meme edulcoree - de cette "fin du monde", ou eau, ciel et terre se confondent en un compose indistinct, dont la cosmographie egyptienne a fait le modele des limites de l'univers. c'est cette proximite du noun primordial qui fait des marecages du nord le refuge du jeune horus: il y grandit sous la protection d'hathor, qui le nourrit et prend soin de lui, comme elle veillera plus tard aux interets egyptiens sur les autres marches du monde: le desert arabique et le sinai, dont les richesses minieres attirent tres tot les habitants de la vallee; plus loin aussi, et par attraction, les autres pays miniers, jusqu'aux cotes anatoliennes et aux lointaines iles de l'egee. la limite avec l'occident n'existe pas vraiment jusque relativement tard dans l'histoire de l'egypte, en quelque sorte faute de partenaires, comme nous l'avons vu, au-dela du fonds culturel commun avec les populations oasiennes. il n'en va pas de meme a l'orient, ou les contrees arides mais riches en minerais suscitent aussi l'interet de voisins - qui, eux, sont bien presents dans les premiers temps -, ni non plus pour le sud. l'ambiguite d'un socle culturel commun, ajoutee au discours pharaonique posterieur donnent l'illusion d'un dodekashoene peu different du sud egyptien. mais, une fois la barriere de la deuxieme cataracte franchie, l'archeologie a montre ces dernieres decennies qu'il existait un pouvoir et une culture suffisamment constitues pour generer des relations plus complexes que les temoignages egyptiens ne le laissaient croire. la fin du quatrieme millenaire voit les premieres tentatives d'appropriation, ou de reappropriation, des territoires limitrophes. souvent, il n'est pas facile de savoir laquelle de ces deux demarches a ete mise en oeuvre. les temoignages archeologiques ne permettent pas d'etablir de difference claire entre une culture supposee dominante et sa "victime" locale. ce que l'on a compris ces dernieres annees pour les oasis du desert occidental est peut-etre aussi vrai de la peninsule du sinai et des cotes de la mer rouge. dans ces deux cas, en effet, on en est essentiellement reduit aux sources egyptiennes, c'est-a-dire, au moins pour les debuts de l'epoque thinite, aux inscriptions royales commemoratives, que l'on interprete comme des marques de possession ou des prises de pouvoir, sans pouvoir evaluer la presence reelle du "vaincu". deja figees dans l'archetype plastique du pharaon massacrant son jean-loic le quellec, pauline de flers et philippe de flers, peintures et gravures d'avant les pharaons. du sahara au nil, etudes d'egyptologie 7, paris, 2005. ennemi, elles n'apportent d'autre element que le nom du "vainqueur". definir une "politique exterieure" a partir de si maigres donnees releve de la gageure. on se bornera a constater que l'essentiel de cette documentation concerne les richesses minieres orientales, les populations que les egyptiens qualifient de "libyens" n'apparaissant qu'une seule fois a la ire dynastie, sous le regne de djer, dont on sait qu'il atteignit egalement le gebel sheikh soliman. cette strategie se poursuit tout au long des trois premieres dynasties egyptiennes - meme si l'on ne possede que peu de renseignements sur la deuxieme -, ponctuee des memes monuments, auxquels s'ajoutent la pierre de palerme et les annales royales du caire. certains regnes sont mieux connus que d'autres, mais on a l'impression qu'il faut attendre les debuts de l'ancien empire pour voir une curiosite du monde exterieur, qui depasse la domination ou l'exploitation des ressources des franges du royaume. les fouilles recentes d'abou ballas 2 ont mis en lumiere cette curiosite des anciens egyptiens pour le monde exterieur, qui se manifeste subitement de maniere tres tangible a la ivedynastie: non pas, pour une fois, a travers leurs recits, mais par l'evidence archeologique. plus de deux cents kilometres au sud de l'oasis de dakhla, par exemple, un vaste depot de jarres fabriquees dans la region d'assouan a ete constitue, dans un site bien date par des inscriptions royales, en particulier de cheops et de redjedef 3. ce depot avait pour but de permettre a des caravanes d'anes, de refaire de l'eau, de facon a atteindre, deux cents kilometres plus loin, le plateau du gilf kebir, puis, de la sans doute koufra. or, la mise en valeur des oasis par les egyptiens ne commence qu'a la vie dynastie - pour autant que presque trente ans de fouilles sur le site de balat et dans toute l'oasis aient permis d'en juger. de plus, les relations avec koufra ne sont guere attestees, des l'ancien empire, par ce chemin-la, mais plus au sud, a partir de kharga, soit par bir sahara ou bir tarfawi, puis bir mesaha vers l'ouest. enfin, vers l'ouest, a part le gilf kebir lui-meme, les egyptiens ne pouvaient guere esperer de debouches commerciaux. les nombreux autres depots de jarres a eau trouves dans toute la zone, ainsi que les graffiti et representations rupestres qui les accompagnent marquent une frequentation importante de cette zone, que la seule quete des pigments naturels ne saurait expliquer 4 . faut-il en deduire que les anciens egyptiens avaient encore le souvenir de cette partie de leurs origines et conservaient donc des contacts que ne justifiait aucune raison purement economique? la mainmise sur les oasis, qui intervient quelques generations plus tard, serait alors a interpreter dans le fil de cette premiere appartenance geographique. contrairement a l'attente des premiers fouilleurs de dakhla, en effet, aucune trace de commerce exterieur avec l'afrique n'est apparue dans les installations egyptiennes comme celle de balat, qui ont livre pourtant une documentation abondante. les seules relations economiques exterieures a l'oasis se developpent avec la vallee du nil, dans un mouvement d'echange qui semble poursuivre le dialogue des premiers temps. le meme schema se dessine d'ailleurs plus au sud: les relations avec l'oasis de kharga - pour laquelle les traces d'implantation egyptienne sont pour l'instant assez tenues pour l'ancien empire - se font avec la vallee: via dakhla et le darb et-tawil en direction de la moyenne egypte, la piste d'edfou pour la haute egypte, ou la piste des quarante jours pour la nubie soudanaise. la circulation se fait, pour ainsi dire, de facon interne entre les zones de peuplements anciens du desert occidental, reduites aux seules oasis, et la vallee, dont les habitants continuent ainsi d'exploiter leur ancien terroir. cette reappropriation du desert occidental et de la basse nubie tend a faire des regions ainsi mises sous controle egyptien les nouvelles marches du royaume. c'est ainsi que ces implantations sont placees sous la tutelle de divinites specifiques, comme 2 rudolph kuper, "the abu ballas trail: pharaonic advances into the libyan desert", dans zahi hawass et lyla pinch brock (ed.), egyptology at the dawn of the twenty-first century. proceedings of the eighth international congress of egyptologists (2000), 2 history, p. 372-376; rudolph kuper, "les marches occidentales de l'egypte: dernieres nouvelles", bsfe 158 (2003), p. 12-34. 3 voir les photographies et la presentation du site dans j.-l. le quellec, p. de flers et p. de flers, op.cit, p. 43. 4 cet interet ne s'etait toujours pas dementi a la viedynastie: rudolph kuper, "the abu ballas trail: pharaonic advances into the libyan desert", dans zahi hawass et lyla pinch brock (ed.), egyptology at the dawn of the twenty-first century. proceedings of the eighth international congress of egyptologists (2000), 2 history, p. 373. igai a dakhla 5 ou seth-panthee a kharga 6, et censees marquer une frontiere: pacifique, comme semble l'indiquer une figurine d'envoutement decouverte sur le site urbain d'ayn asil a dakhla 7, militaire en nubie avec la chaine de forts qui apparaitra au debut du deuxieme millenaire avant j.-c. quoi qu'il en soit des raisons profondes qui la motivent, on constate, a travers cette exploration des pistes occidentales, une curiosite et un souci d'investigation des regions lointaines directement au niveau de l'etat. au-dela des objectifs institutionnels et economiques de ces recherches, on note tout au long de l'ancien empire, dans les monuments officiels comme dans la tradition litteraire, une curiosite affichee des souverains pour l'exotisme de la faune et de la flore des regions eloignees. il semble que l'avenement de la ve dynastie, dans le mouvement d'une theologie solaire plus developpee, voire renouvelee, ait consacre cette nouvelle ouverture au monde. on pense aux reliefs funeraires royaux d'abousir: ceux d'ouserkaf, les scenes des expeditions au levant de sahoure, la "weltkammer" de niouserre, lointain ancetre et peut-etre modele du jardin botanique de thoutmosis iii a karnak ou de l'expedition vers pount de la reine hatshepsout a deir el-bahari, É mais il faut y ajouter les autobiographies de particuliers, qui, comme la tradition romanesque alors naissante, font la part belle a l'exotisme et au picaresque. certains elements laissent entrevoir l'aspect systematique de ces explorations. le fait d'abord que, - sous reserve que les prospections archeologiques modernes aient couvert l'essentiel des zones minieres du desert oriental et permettent donc de proposer une evaluation de celles-ci -, les anciens egyptiens avaient localise des les epoques les plus anciennes les ressources minieres de la chaine arabique. localise et exploite. d'autres indices laissent supposer, au-dela de la systematisation des explorations, une methodologie tres evoluee. on a decouvert, en particulier, dans le desert oriental des gravures rupestres d'un type unique: des circuits d'une certaine ampleur, incises sur la pierre, et qui ne ressemblent a rien de connu, É sauf a la cartographie des principaux ouadis de la zone 8! si ces documents sont ce qu'ils ont l'air d'etre, a savoir des cartes, ils sont a rapprocher des releves topographiques qui nous sont parvenus sur d'autres documents, comme le plan des mines d'or de turin ou celui de la tombe de ramses iv, mais aussi, et surtout, de la cartographie des listes de peuples etrangers, depuis les premieres listes jusqu'a des documents comme la statue de darius decouverte a suze 9 . du cote oriental, le sinai parait etre une terre partagee depuis les premiers temps. partagee ou exploitee alternativement, du moins pour ce qui est des regions minieres 10 . l'archeologie montre que, des le maadien ancien, c'est-a-dire dans la premiere moitie du quatrieme millenaire avant j.-c., les egyptiens avaient pris la mesure des territoires du nord du sinai, pour s'y implanter des nagada iia-b: avant meme la constitution de l'etat pharaonique 11 . ces installations sont durables et massives pendant toute la periode thinite dans tout le sud-ouest de la palestine. les fouilles de gaza ont ainsi montre que le site de tell es-sakan etait, a l'origine - c'est-a-dire dans le dernier quart du quatrieme millenaire avant j.-c. -, egyptien 12 . il en va de meme du niveau iii de en besor, a 25 kilometres au 5 deja present sur l'inscription de redjedef d'abou ballas: voir en dernier lieu j.-l. le quellec, p. de flers et p. de flers,op.cit, p. 40 et 45.6 dont une representation spectaculaire orne la facade du pronaos du temple d'hibis.5 seule mention hostile connue a ce jour: nicolas grimal, "les “noyes” de balat", dans melanges offerts a jean vercoutter,1985, p. 111-121.8 david rohl, the followers of horus. eastern desert survey report, 1, isis, oxon, 2000.9 monique kervran, david stronach, francois vallat et jean yoyotte, "une statue de darius decouverte a suse", journalasiatique (1972), p. 235-266.10 nicolas grimal, "civilisation pharaonique: archeologie, philologie, histoire", annuaire du college de france 2003-2004(2004), p. 801 sq.11 pierre de miroschedji, "les egyptiens au sinai du nord et en palestine au bronze ancien", dans dominique valbelle etcharles bonnet (ed.), le sinai durant l'antiquite et le moyen age. 4000 ans d'histoire pour un desert (1997), p. 20-32.12 pierre de miroschedji, "tell es-sakan, un site du bronze ancien decouvert dans la region de gaza", craibl 2000(2000), p. 125-152; pierre de miroschedji, "la palestine, gaza et l'egypte au bronze ancien", dans j.-b. humbert (dir.),gaza mediterraneenne. histoire et archeologie en palestine, 2000, p.101-104. sud de tell es-sakan, tandis que plus d'une dizaine d'autres sites du sud palestinien temoignent d'une presence egyptienne, moins massive, mais importante. les egyptiens laissent la place aux cananeens, probablement au cours de la periode thinite, sans qu'il soit encore aujourd'hui possible d'en determiner avec precision la date. ce retrait correspond manifestement au developpement de la civilisation urbaine en palestine, qui voit des cites comme tell yarmouth et beth shemesh jouer un role regional de premier plan 13 . encore qu'il soit probablement faux de parler de developpement de la civilisation urbaine, dans la mesure ou d'autres sites, comme hartuv 14 , de nature comparable, ont precede tell yarmouth: il s'agit plus de deplacements de groupes humains vers de nouveaux sites que d'une apparition a proprement parler. quoi qu'il en soit, ces mouvements temoignent d'un changement de societe a la fin du chalcolithique, a peu pres contemporains de ceux de la vallee du nil et d'uruk en mesopotamie: le debut du bronze ancien. ces cites-etats de canaan, en competition les unes avec les autres durant le bronze ancien ii et iii, entretiennent des relations avec l'egypte sur un mode qui change, lui aussi, suivant l'evolu-tion du jeu politique regional. les temoins archeologiques traduisent cette evolution tout au long de l'epoque thinite et de l'ancien empire egyptien, bien souvent d'une maniere plus fiable que la documentation d'egypte proprement dite. celle-ci, comme nous l'avons vu l'annee derniere, restitue la realite a travers un codage, qui - bien qu'il nous soit aujourd'hui relativement perceptible - ne donne qu'un eclairage partiel. si les annales de la pierre de palerme, par exemple, fournissent des elements quantitatifs et une attestation de relations, elle ne permettent guere d'aller au-dela de ce constat. a cote d'objets attestant de la nature des relations commerciales avec les pays etrangers, comme la hache datant du regne de cheops trouvee a nahr ibrahim 15 , on voit apparaitre des documents directement en relation avec la chancellerie royale egyptienne. ce sont les emissions jubilaires commemoratives, essentiellement, a l'ancien empire, sous forme de vases, de disques ou de coupes, graves au nom du pharaon. les vases sont principalement de deux types. le premier, en pierre dure, theriomorphe, represente une guenon serrant contre son ventre son petit ou decorant, seule, l'exterieur d'un calice de calcite 16; le second, plus repandu, est un vase tronconique en calcite, sur lequel est gravee une inscription commemorant le jubilee royal. la nature des relations que traduit l'envoi par la cour d'egypte de ces objets aux dirigeants des cites-etats du levant n'est pas si facile a determiner. le fait que les gouverneurs des provinces de la vallee du nil et des oasis aient beneficie des memes presents laisserait supposer, en effet, que ceux-ci traduisent un lien de vassalite, ou, en tout cas, une quelconque allegeance. d'un autre cote, ces objets feront partie plus tard des envois diplomatiques aux rois et princes du proche-orient, dont on sait par ailleurs qu'ils n'etaient en rien vassaux de l'egypte. il parait donc raisonnable de considerer que ces presents sont a interpreter comme des signes de relations pacifiques, sans qu'il soit possible d'approfondir la nature de celles-ci. on se bornera a constater leur frequence plus ou moins grande selon les cites. l'exemple le plus frappant en est byblos, ou pratiquement tous les rois de l'ancien empire sont representes par de nombreux vases ou fragments de vases, de la iie a la vie dynastie: khasekhemoui, neferirkare-kakai, niouserre, menkaouhor, djedkare-izezi, ounas, teti, pepy ier, merenre, pepy ii 17 , 13 pierre de miroschedji, "yarmuth. the dawn of city-states in southern canaan", near eastern archaeology 62:1 (1999), p. 1-19.14 pierre de miroschedji, amihai mazar et naomi porat, "hartuv, an aspect of the early bronze i culture in southernisrael", basor 302 (1996), p. 27-30.15 aujourd'hui conservee a l'institut biblique pontifical de jerusalem (pm vii 386), cette hache est au nom de l'equipagedu roi.16 cf. m. valloggia, "deux objets theriomorphes decouverts dans le mastaba v de balat", dans le livre du centenaire, mifao 104, le caire, 1980, p. 143-151; id., "une coupe a decor theriomorphe provenant de balat", bifao 93 (1993), p. 391402 et pl. i-iv. 17 pm vii 386; 388; 390-391. etc. cette abondance demontre l'etroitesse des liens qui unissent, des les premiers temps 18 , les princes de byblos a l'egypte, dont on sait qu'ils iront, a partir du deuxieme millenaire avant j.-c., jusqu'a adopter de nombreux traits de la civilisation pharaonique. elle permet aussi d'interpreter un autre type de document royal egyptien, relativement repandu hors d'egypte des l'epoque thinite: les sceaux-cylindres, qui y sont egalement attestes, associes, par exemple a khephren et sahoure 20 . la mobilite de ces petits objets, souvent decouverts hors contexte archeologique, les rend, en effet, prfois suspects aux yeux des historiens. car il est particulierement difficile d'en etablir l'usage reel, et il est evident que, bien souvent, ils ne proviennent pas d'une representation officielle egyptienne en place sur les lieux de leur decouverte. leur presence a byblos, ou ils cotoient des monuments royaux indiscutables 20 , va, naturellement dans le sens d'une representation administrative et/ou politique reelle. si le cas de byblos est indiscutable, la presence d'objets egyptiens, voire d'un contexte egyptien complet n'est pas une preuve absolue de relations diplomatiques ou commerciales etroites. que penser, en effet, de la decouverte a dorak, sur la cote sud de la mer de marmara, de restes d'un trone en bois recouvert de feuilles d'or portant le cartouche de sahoure 21? cet objet provient de la tombe d'un prince de la culture de yortan (2700-2500 avant j.-c.), qui lui est contemporaine. pour indiscutable que soit le contexte archeologique, cette decouverte reste isolee, et ne saurait temoigner de l'importance de relations, que rien ne vient attester par ailleurs. un autre type de temoin archeologique releve d'une problematique comparable a celle des sceaux-cylindres. ce sont les scarabees, egyptiens en general, royaux en particulier, qui, comme tout petit materiel, sont susceptibles de voyager sur de longues distances et de se retrouver hors contexte. dans leur cas, la presence d'un temoin unique n'a guere de valeur, sauf si le contexte stratigraphique est chronologiquement coherent, ou si une accumulation important, liee a une stratigraphie verifiable, assure la datation. la question se pose, au moins pour ce qui est de l'ancien empire, tout particulierement pour chypre et rhodes. de nombreux scarabees, dates de khephren, mykerinus et ounas ont ete trouves sur plusieurs sites chypriotes: hagia irini, dali, enkomi, marion, amathonte, hala sultan, limassol. dans le cas de chypre, meme si le contexte archeologique est souvent imprecis, le nombre des trouvailles rend credibles des relations, dont on sait par ailleurs qu'elles vont se developper des le debut du deuxieme millenaire avant j.-c. en revanche, la tete d'ancien empire trouvee a athenes ou le disque de pierre portant le nom du temple solaire d'ouserkaf decouvert a cythere 22 ne sauraient etre des temoins valables. probablement dans le cas de la premiere, a peu pres certainement pour le second, il s'agit de "curiosites" rapportees d'egypte plus tardivement par des voyageurs. l'ensemble de la documentation dont nous disposons, d'egypte comme de l'exterieur, montre donc, pour l'ancien empire, une expansion logique vers le sud-ouest palestinien, qui flechit dans le dernier quart du troisieme millenaire avant j.-c., en meme temps que s'effondre la premiere civilisation urbaine de palestine. a partir des bases constituees des les premieres dynasties dans la zone de gaza, les egyptiens developpent des relations a plus longue distance, grace a l'acces a la facade maritime qu'ils se menagent ainsi. c'est vraisemblablement l'une des raisons du grand desequilibre documentaire que l'on constate en faveur de byblos, au detriment des terres de l'interieur de la palestine. byblos est clairement l'objet d'une politique d'etat, dont temoigne l'abondante documentation "diplomatique" evoquee plus haut. les egyptiens eux-memes en donnent la raison la plus evidente: la quete de matieres premieres dont ils ne disposent pas chez eux. principalement le bois des pins et des cedres, qui sont aujourd'hui l'embleme du liban. c'est cette exploitation de l'arriere-pays libanais qui est toujours mise en avant et abondamment illustree dans la documentation egyptienne, autant qu'attestee par l'archeologie, comme en temoignent, entre autres, les barques funeraires royales de la ive dynastie. 18 on pense, par exemple, a la palette louvre ao 1591. 19 pm vii 390. 20 par exemple le relief de la vie dynastie, aujourd'hui conserve au louvre (ao 4811), representant un roi embrasse parune deesse.21 j. leclant, or 30, p. 397; 31, p. 337; 32, p. 211.22 pm vii 401 et 403. au-dela de cet apport premier, byblos servait deja, a l'evidence, de relais vers le monde mediterraneen, surtout vers les regions minieres, ou les egyptiens pouvaient se procurer les minerais qui s'epuisaient dans le desert oriental et le sinai. les fouilles menees dans les exploitations minieres de ces regions mettent, en effet, toutes en evidence une exploitation intense des la periode thinite et tout au long de l'ancien empire. pour certains sites meme, comme celui de ayn sokhna, les recherches conduites par pierre tallet avec l'institut francais d'archeologie orientale permettent de suivre la transformation de l'installation miniere originelle en base avancee pour des expeditions plus lointaines 23 . l'implantation des techniques metalliques en egypte remonte, en effet, aux premieres dynasties, mais on voit clairement, a travers la documentation, un developpement important, surtout a partir de la vie dynastie. en temoignent des oeuvres majeures, comme les statues royales de pepy ier et de merenre, ou la tete de faucon d'hierakonpolis, mais aussi l'abondance d'objets en cuivre dans tout le pays. il fallait donc aller plus loin, et byblos ouvrait l'acces vers chypre et l'asie mineure. dans le meme temps, le levant est deja un terrain de rencontre avec les grandes civilisations contemporaines, qui s'ouvrent, elles aussi, au monde. en mesopotamie, le troisieme millenaire voit la premiere periode dynastique, qui, elle-meme, fait suite a la periode de jemdet-nasr qui l'a ouvert. jemdet-nasr etait deja l'heritiere d'uruk, qui a presque entierement couvert la seconde moitie du quatrieme millenaire. autant de grands ensembles, qui commencent a communiquer reellement entre eux dans le troisieme millenaire finissant. les echanges deviendront plus consistants et continus au debut du deuxieme millenaire, en meme temps que se developperont les cites marchandes de la syrie du nord, dont le role d'intermediaires ne se dementira jamais par la suite. une zone reste toutefois en grande partie mysterieuse: la mediterranee orientale. on constate que chypre est deja terra cognita, ce qui se comprend bien, etant donne sa proximite depuis byblos et sa richesse miniere. de meme, grace plus aux travaux de manfred bietak a tell ed-dabb'a qu'a la dispersion des temoins egyptiens qui y ont ete releves, on sent que les contacts avec le monde egeen, surtout la crete existent deja 24 . il est toutefois difficile de cerner avec precision leur nature et ce que les egyptiens en attendaient. on ne peut plus aujourd'hui, en effet, considerer les relations que l'egypte entretenait avec ses voisins et au-dela uniquement en termes de domination et de profit. les documents de la ve dynastie laissent apercevoir une volonte de decouvrir et de decrire le monde. la encore, les fouilles de tell ed-dabb'a, mais aussi le materiel mis au jour dans le levant et en egypte pour le deuxieme millenaire avant j.-c. montrent - en particulier a travers les copies locales d'objets usuels - que ces civilisations pouvaient se prendre reciproquement pour modeles. c'est le cas de l'egypte au levant, mais aussi, par exemple, de la crete en egypte. en d'autres termes, les echanges n'ont pas ete a sens unique, ni au troisieme, ni au deuxieme millenaire, comme un regard souvent trop rapide jete sur les civilisations d'ougarit ou de byblos, pour ne prendre que les plus fameuses, l'ont parfois fait penser. le premier tournant de la politique exterieure de l'egypte avec les "asiatiques" se situe dans les deux derniers siecles du troisieme millenaire, dont on voit bien qu'ils ont ete marques, dans tout le proche et le moyen orient par des changements quasi contemporains les uns des autres, et qui traduisent des bouleversements, climatiques ou humains, qui semblent avoir frappe tres largement toute la region. les sources egyptiennes gardent de nombreux temoignages de ces troubles qui ont marque les deux siecles qui concluent le troisieme millenaire: dans la litterature 25 , l'art 26 , mais aussi l'archeologie 27 . 23 en dernier lieu: or 73 (2004), p. 35 et 123-125.24 meme si la documentation rassemblee depuis les travaux pionniers de jean vercoutter concernent essentiellement ledeuxieme millenaire.25 lamentations d'ipou-our, enseignement pour merikare.26 les "bedouins" d'ounas (louvre e 17381), par exemple.27 la destruction du palais de medounefer et de ses dependances a balat, dans l'oasis de dakhla, entre autres. la fin de l'ancien empire se caracterise ainsi par un repli egyptien vers son territoire originel, qui voit le systeme theocratique vaciller sur les bords du nil en meme temps que s'eteignent les cites-etats de palestine: les echanges sont interrompus et le nord du sinai n'accueille plus que des pasteurs saisonniers. les franges orientales redeviennent ainsi floues, partagees entres des populations revenues au nomadisme et pratiquant l'extraction saisonniere des ressources naturelles, - les aamou des sources egyptiennes, terme que l'on rend habituellement par "bedouins". en egypte, le xxie siecle av. j.-c. est consacre quasiment tout entier a la reconstitution de l'unite nationale sous l'autorite thebaine. cette derniere s'assortit d'une reprise en main de la basse nubie, puis, sous le regne de ouahkare khety iii - soit environ 50 ans jusqu'en 2070 -, de la reconquete du delta oriental sur ces bedouins, accompagnee d'une reprise des colonies dans le sud palestinien, dont temoigne a nouveau l'archeologie. c'est de son regne que date egalement la restauration des relations maritimes avec la syrie, justement a partir des zones reconquises. mais c'est sous le regne de montouhotep ii, le fondateur de la reunification (vers 2040), que la reprise en main du pays va de pair avec une politique exterieure vigoureuse. en fait, la politique exterieure de l'egypte consistera essentiellement, jusqu'au milieu de la xiie dynastie, a reprendre en main la nubie - avec des fortunes diverses, et au prix d'un lourd investissement en implantations humaines et infrastructures. du cote occidental, il semble que les "libyens" aient profite du flottement politique en egypte pour gagner les marches du delta. c'est sesostris ier, dauphin designe par son pere amenemhat, qui entreprend une campagne de pacification vers 1962 avant j.-c. l'episode est particulierement connu, puisque c'est au retour de cette expedition qu'il apprend l'assassinat de son pere 28 . du cote oriental, les sources egyptiennes mentionnent, dans la premiere moitie du regne de montouhotep ii, des victoires remportees sur les "asiatiques", les mentjyou du sinai, les retenou de syrie. son successeur, montouhotep iii, reprend et poursuit la politique de for